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celle qui m’est familière. Leur flore et leur faune sont la flore et la faune européennes; pas le moindre bout de paysage oriental. Leurs arbres sont ceux de nos campagnes, et leurs bêtes sont celles de nos sillons et de nos haies. L’abricotier, le poirier, le pêcher, le saule, le nénufar, le mûrier, voilà toutes leurs richesses végétales. L’hirondelle, le canard, le corbeau, la perdrix, le faisan, voilà les seuls représentans du règne animal qu’ils nous montrent. Le singe, il est vrai, fait exception. Une ou deux fois on l’entend gémir mélancoliquement sur les tombeaux au déclin du jour, ou saluer par ses cris le lever de l’aurore dans les bois qui ornent la montagne, au-dessus de laquelle se dresse un monastère bouddhiste ; mais cette unique exception est bien insuffisante pour me faire croire que je suis réellement à l’autre bout du monde.

M. d’Hervey Saint-Denys répond à nos objections que les poètes qu’il a si amoureusement traduits sont bien vraiment chinois, ainsi que nous pourrons nous en convaincre en lisant la préface où il a exposé l’état social et littéraire de la Chine à l’époque où ils vécurent, et les notices rapides et substantielles où il a résumé tout ce qu’il nous est utile de savoir de la vie de chacun d’eux. Si l’on a égard à la longévité étonnante de cette vieille civilisation chinoise, on peut dire que ces poètes sont relativement nos contemporains. Ils florissaient sous la dynastie des Thang, entre le VIIe et le Xe siècle de notre ère, époque qui nous paraît bien lointaine, à nous, dont les annales n’ont, à tout prendre, qu’une durée de quinze siècles, mais qui doit sembler aux Chinois une date toute récente. Cette dynastie des Thang paraît avoir été pour la société chinoise à peu près ce que les Flaviens et les Antonins furent pour la société romaine, et pour la littérature et les lettrés de la Chine ce que le règne d’Auguste fut pour la littérature et les lettrés de Rome. En effet, le tableau que nous présente M. d’Hervey Saint-Denys de l’état social et littéraire de la Chine sous cette dynastie participe des caractères de ces deux époques. La Chine sous le règne des Thang est forte et prospère, comme l’empire romain sous le règne des Antonins. Elle est gouvernée avec équité, prudence et fermeté; elle vient d’échapper à de longues dissensions civiles, à de longs malheurs publics, au joug détesté de dynasties oppressives. Elle jouit, comme l’empire sous les Antonins, d’une paix âpre et fière, qu’on pourrait appeler une paix belliqueuse, de cette paix armée qui n’excluait pas de perpétuelles expéditions, et qui mériterait le nom d’état de guerre, si l’on ne devait réserver expressément ce nom pour les époques où le sentiment de la sécurité est ébranlé dans l’âme des citoyens, et où les sociétés tremblent pour leur indépendance. A chaque instant, dans les vers de ces poètes, on voit passer les troupes impériales