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et les paroles caressantes qu’on emploie avec les enfans. Voici quelques extraits qui aideront à comprendre les diverses nuances de ce sentiment chinois de la nature.


LA PLUIE DE PRINTEMPS (Thou-fou).

« Oh! la bonne petite pluie, qui sait si bien quand on a besoin d’elle, — qui vient justement au printemps aider la vie nouvelle à se développer! — Elle a choisi la nuit pour arriver avec un vent propice; — elle a mouillé toutes choses, très finement et sans bruit.

« Des nuages sombres planaient hier soir au-dessus du sentier qui mène à ma demeure; — les feux des barques se montraient seuls dans l’obscurité, comme des points lumineux. — Ce matin, de fraîches couleurs éclatent au loin dans la campagne, — et je vois toutes chargées d’une humidité charmante les belles fleurs dont les jardins impériaux sont brodés. « 


QUAND ON PORTE UNE PENSÉE DANS SON CŒUR (Tchin-tseu-ngan).

« Chaque beau jour qui s’écoule s’en va pour ne plus revenir. — Le printemps suit son cours rapide et déjà touche à son déclin. — Abîmé dans une rêverie sans fond, je ne sais où se perdent mes pensées; — je suis couché sous les grands arbres, et je contemple l’œuvre éternelle. — Hélas! toute fleur qui s’épanouit doit mourir en son temps! — Les chants plaintifs du ki-kouey[1] en avertissent mon oreille attristée. — Que d’êtres anéantis depuis l’âge antique des grands vols d’oies sauvages! — L’homme le plus populaire des siècles passés, s’il revenait aujourd’hui, qui le reconnaîtrait? — Les fleurs appelées lân et jo, depuis le printemps jusqu’à l’été, — croissent avec vigueur. Oh! combien elles sont verdoyantes! combien elles sont verdoyantes! — Solitaires, au plus profond des bois, elles développent leur beauté dans le bosquet désert. — La fleur entr’ouvre sa corolle odorante et s’élance sur sa tige dans tout l’éclat de ses vives couleurs. — Cependant le soleil s’éloigne et s’affaiblit peu à peu; — le vent d’automne surgit au milieu des feuilles tremblantes; — les fleurs de l’année s’épuisent et tombent entraînées par lui ; — mais le parfum de la fleur enfin, que devient-il? »


IMPROVISÉ DEVANT DES FLEURS (Tsin-tsan).

« Les fleurs de cette année succèdent aux fleurs de l’année passée sans paraître moins belles. — Des hommes de l’année passée, ceux qui ont atteint cette année ont vieilli d’un an. — Cela montre que les hommes vieillissent; cela montre aussi que les fleurs ne vivent guère. — Ayez pitié des fleurs tombées, seigneur; ne les balayez pas! — Vos frères aînés et vos frères cadets, qui tous se distinguent par leurs talens et leurs grades, — chaque jour, au retour de l’audience impériale, réunissent des amis dans

  1. Le ki-kouey, oiseau qui chante à deux époques de l’année, au milieu du printemps et au milieu de l’automne, selon le commentaire chinois cité par le traducteur.