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mais ce qui prouve combien ce mouvement était peu préparé, c’est qu’au premier instant on ne savait qui conduisait ces bandes d’insurgés, et ces bandes elles-mêmes ne savaient quels allaient être leurs chefs : les Russes n’avaient d’abord devant eux qu’une masse anonyme et ne savaient à qui ils avaient affaire.

Une nuit, au commencement de janvier, un homme jeune encore, glacé de froid et à bout de ressources, frappe à la porte d’un château dans la campagne, au-delà de la frontière prussienne. Il avait épuisé, pour arriver jusque-là, ce qu’il avait d’argent; il était exténué, et ne pouvait aller plus loin. Il reçut une hospitalité de quelques heures, il se réconforta et put repartir bien vite. Où allait-il? Celui qui l’avait reçu un instant, sans connaître rien de plus que son nom de Polonais, l’apprit quelques jours après par les bulletins russes : c’était Marian Langiewicz, le plus habile tacticien de cette guerre qui commençait. Langiewicz est né le 5 août 1827, à Krotoszin, dans le grand-duché de Posen. Il a étudié longtemps dans les gymnases et à l’université de Breslau, où il s’occupait principalement de mathématiques. Obligé, comme sujet prussien, au service de la landwehr, il a passé une année dans l’artillerie de la garde à Berlin. Il n’a cessé depuis de poursuivre des études militaires, sans avoir cependant fait partie, comme on l’a dit, de l’expédition de Garibaldi en Sicile. Accouru de France au premier bruit du recrutement, dont il pressentait les effets, il arrivait seul, inconnu, comme je l’ai dit, prêt à se mêler à la première bande qu’il rencontrerait, et en quelques jours il est devenu l’un des chefs les plus brillans, les plus heureux, de cette émouvante guerre, posant d’abord son camp dans les montagnes de Sainte-Croix, organisant à demi ses hommes, et bientôt entrant en campagne avec ce mélange d’habileté et de hardiesse qui a déjoué jusqu’ici la stratégie des colonnes envoyées contre lui. Les Russes l’ont tué ou blessé quelquefois, au dire de leurs bulletins, et plus souvent encore ils ont dispersé ses bandes. Il ne tient pas moins ferme, personnifiant avec un éclat devenu européen cette insurrection, concentrée dans le palatinat de Sandomir. Et puis, Langiewicz fùt-il réduit à passer la frontière, ou succombât-il sous le poids des masses qui cherchent à l’assaillir, tout serait-il donc fini? N’est-ce point aujourd’hui la révolte à mille têtes?

Au fond, quelle est la force et quels sont les élémens de cette insurrection ? Sa force est dans la nature de cette guerre de partisans qui échappe à une défaite décisive, qui, au lieu de se concentrer dans une ville, sur un champ de bataille, est partout à la fois, harcèle les Russes, les contraint à se diviser, les épuise sans cesse en marches et en contre-marches suivies de victoires problématiques