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pressée et assaillie, loin de céder à la force, s’est concentrée en elle-même et a grandi par ce qui devait la tuer. Elle a eu des épreuves sanglantes dans la révolution de 1831, dans les insurrections de 1846 et de 1848; elle a eu bien des espérances trompées, et elle s’est vue presque oubliée, presque abandonnée; elle ne s’est pas moins défendue, et n’a pas moins vécu, toujours prête à combattre et à se reprendre à l’espoir, tantôt se réfugiant dans un travail silencieux, tantôt cherchant une issue dans une agitation toute morale. Et si la lutte se concentre aujourd’hui dans cette partie de la Pologne qui s’appelle le royaume depuis 1815, en s’étendant seulement aux autres provinces qui dépendent de la Russie, c’est que là est le foyer principal de l’esprit polonais, c’est que là aussi, au cœur même de la patrie, est l’ennemi le plus puissant, le plus dangereux : de telle façon qu’après un demi-siècle l’insurrection actuelle apparaît comme une crise décisive où vient se résoudre un long conflit, un débat qui n’est plus l’affaire de la Pologne seule, qui devient une question d’ordre général, en créant à l’Europe la nécessité d’une intervention qui n’est point sans doute, si l’on veut, une stricte et rigoureuse obligation diplomatique, selon les paroles récentes de lord Palmerston, mais qui est pour elle un droit résultant des garanties placées sous sa sauvegarde, qui est un devoir de solidarité morale, et qui est un intérêt souverain, l’intérêt de la paix en péril, de la justice violée, de la liberté d’un peuple engagée avec la force.

Quand on y regarde de près dans cette carrière où s’agite l’Europe, dans cette crise nouvelle en face de laquelle elle s’est réveillée subitement, il y a trois choses qui se dégagent : il y a une nationalité qui résiste à tout, qui depuis un siècle se dispute héroïquement à la destruction, qui depuis cinquante ans ne fait que grandir dans le feu des épreuves et s’affirme sous toutes les formes, fût-ce par la défaite; il y a le principe d’une domination qui périt par son excès, sous le poids de ses fautes et d’une impossibilité; il y a aussi toute une combinaison européenne qui s’affaiblit dans la proportion même où se développe le sentiment des indépendances légitimes, où grandissent des intérêts nouveaux, dont le vice éclate par le progrès du droit et de la liberté. Ce qu’on entrevoyait déjà dès 1815, mais ce qui apparaît bien plus sensiblement aujourd’hui, c’est que la situation faite à la Pologne a été comme une fatalité pesant sur la politique européenne, et qu’elle a paralysé le mouvement régulier des peuples en créant des menaces permanentes, des rapports contraints; c’est qu’il y a une intime connexité entre une condition meilleure, plus juste, indépendante, pour la nation polonaise, et tous les intérêts du libéralisme. L’asservissement de la nationalité