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Russie eût pu s’y rendre sans déroger ; elle n’eût fait que céder aux conseils amicaux de ses pairs. Espère-t-on sincèrement obtenir de sa fierté qu’elle soumette son procès avec la Pologne au jugement de trois états de second ordre, dont deux, l’Espagne et le Portugal, n’ayant aucun intérêt dans la question, n’y peuvent prétendre à une bien grande autorité, dont le troisième, la Suède, peut être considéré par la Russie comme animé d’une hostilité directe contre elle ? Ainsi le système anglais entraîne l’embarras d’une négociation préliminaire pour obtenir l’adhésion des huit états signataires des traités de Vienne à la réunion d’une conférence sur les affaires de Pologne. La Prusse et la Russie peuvent faire traîner cette négociation en longueurs interminables, même avec la pensée de s’y dérober par un refus final. Enfin, si l’on délibère sans la Prusse et la Russie, quelles difficultés ! quelles lenteurs ! et pour aboutir à quoi ? À ne rien faire, ou, s’il faut faire quelque chose, à concerter les moyens d’action de l’Angleterre, de l’Autriche, de la France, c’est-à-dire, après des pertes de temps bien cruelles, si l’on songe qu’elles auront prolongé l’effusion du noble sang qui coule en Pologne, à revenir à ce concert à trois par lequel la France proposait tout d’abord de conduire et de résoudre la question polonaise !

Si l’on nous pressait de deviner quel est le motif de la politique adoptée par lord Palmerston, nous donnerions tout de suite notre langue aux chiens. Lord Palmerston veut-il empêcher que l’action diplomatique puisse aboutir à la guerre ? On prétend dans la presse anglaise que telle eût été la conclusion obligée de la politique proposée par la France. Si aux représentations de la France et de l’Angleterre la Prusse et la Russie avaient opposé un refus absolu, les puissances occidentales eussent été, dit-on, contraintes d’en appeler aux armes, et l’Europe, à l’heure qu’il est, serait peut-être déjà en feu. L’argument n’est pas fondé ; mais en tout cas il s’appliquerait avec une égale force contre la marche suivie par l’Angleterre. Si l’on parvient à réunir en conférence les puissances signataires des traités de Vienne, si la majorité de la conférence se prononce pour la garantie à la Pologne des institutions constitutionnelles qui lui ont été promises en face de l’Europe, nous croyons que la fierté russe aura plus de raison d’être blessée de cette sorte d’arrêt solennel d’un tribunal amphictyonique que des conseils amicaux qui lui auraient été discrètement adressés par deux ou trois grandes puissances ; si en conséquence la Russie refuse de se soumettre au verdict des signataires des traités de Vienne, ne se trouvera-t-on pas plus près encore du conflit ? Il vaudrait bien la peine de ressusciter un autre congrès de Vienne pour en faire une simple assemblée consultative, dont les décisions, privées d’avance de toute efficacité pratique, pourraient être impunément bafouées ! Mais, si après avoir pris soin d’établir l’opinion de l’Europe sur la question polonaise avec le plus grand appareil possible, on tient à ne pas demeurer ridiculement dans le limbe des vœux platoniques, si l’on veut faire prévaloir cette opinion dans les faits, ne se trouvera-t-on pas dans la nécessité de combiner cette alliance active entre la