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absolutisme, le gouvernement personnel qui ne peut pas se gouverner lui-même.

Law était fou évidemment. Le vertige de l’utopie, la partie engagée, l’ivresse, avaient brouillé sa vue. Il ne s’aperçut pas qu’il avait son système, l’enfant chéri de sa pensée, où ?… dans la fosse aux bêtes, serpens, crabes, araignées. Il le suivit, il entra là, pour être mangé, l’imbécile, bien plus, honteusement souillé, sali, flétri.

Le 27 août 1719, fort inopinément, par un simple arrêt du conseil, la révolution s’accomplit : la compagnie des Indes prend les fermes à ses adversaires et se charge de lever l’impôt. Toute rente sur l’état est supprimée ; la compagnie remboursera la dette en émettant des actions rentières à 3 pour 100 que recevront les créanciers de l’état. L’anti-système périt ; Duverney est vaincu. Le système est vainqueur, ce semble. La masse des rentiers voit brusquement fermés les bureaux des payeurs, avec quelle inquiétude ! Il faudrait, pour les rassurer, que leur liquidation bien faite leur donnât sans difficulté ce qu’on leur promet en échange, ces actions qui désormais sont leur unique fonds, leur propriété légitime. Qu’arrive-t-il ? Les bureaux sont ouverts, les actions paraissent ; le premier venu en achète, et le rentier seul est exclu ! On lui répond : « Vous n’avez pas les pièces, vous reviendrez, bonhomme ; vous n’êtes pas encore liquidé. »

La précipitation cruelle qu’on mit à tout cela ne servait Law en rien. Tout au contraire, ses grandes vues de colonies, de commerce, dont il était alors violemment préoccupé, et qui devaient donner corps et réalité au fantasmagorique échafaudage du système, voulaient du temps. Il était évident que sans le temps il périssait. On voit, par le Journal de la Régence et autres document, que si la foule était à la rue Quincampoix, Law était d’âme et de corps, de toute son activité, à l’affaire du Nouveau-Monde. Tout occupé de trouver des colons, il n’avait rien à gagner à ce crime de bourse que la ruine infaillible et prochaine du système. Il était trop certain que la folle poussée de hausse, la ruine des rentiers, n’aboutirait à rien qu’à enrichir les gros voleurs, qu’une chute suivrait, épouvantable, qui emporterait Law, ses idées, sa fortune, sa personne et sa vie peut-être.

Ni Law ni le régent n’avaient rien à gagner à cela qu’une immense malédiction, la ruine du présent et la honte dans tout l’avenir. Les plaisirs personnels du régent étaient peu coûteux, on l’a vu. Fini à peu près pour les femmes, il ne l’était pas pour le vin. L’ivresse de chaque soir non-seulement le menait à l’apoplexie, mais le tenait la matinée dans un état demi-apoplectique, obscurcissait sa vue, affaiblissait sa faible volonté. Ses facultés baissaient. Un