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rires violens. Ajoutez les imbroglios. Tel abbé pour billets de banque donne des billets d’enterrement ; telles dames se jouent elles-mêmes, actions incarnées, et paient en mères et en filles. Quand la cloche du soir ferme la rue, cette effrénée Babel s’engouffre bouillonnante aux cafés, aux traiteurs des ruelles voisines, aux joyeuses maisons où les espiègles demoiselles soulagent le gagnant de son portefeuille.

Sauf le joueur volé ou le blême rentier, Paris était fort gai. Trente mille étrangers qui étaient venus jouer dépensaient, achetaient et ne marchandaient guère. Les spectacles ne manquaient pas. On épurait Paris en faveur du Mississipi. Les galans chevaliers de la maréchaussée enlevaient poliment les demoiselles « de moyenne vertu » qui devaient peupler l’Amérique ; des vagabonds en nombre égal, ramassés dans les rues ou tirés de Bicêtre, devaient partir en même temps : tout cela exécuté avec une violence, une précipitation légère, des facéties cruelles. Le régent n’aimait pas les larmes, et les scènes de désespoir eussent fait tort au mouvement des affaires. Il voulut que ces demoiselles, ces pauvres diables, s’amusassent avant de quitter Paris. Elles furent mariées sommairement à Saint-Martin-des-Champs ! On mit les malheureuses en face de la bande des hommes. Parmi ces inconnus, mendians ou voleurs, elles durent choisir en deux minutes, sous l’œil paternel de la police, se marier en deux temps, comme on fait l’exercice. Les pauvres immolées, avec des rubans jaunes pour couronne de mariage, furent promenées, montrées, pour qu’on vît combien les partans étaient gais. Barbare exhibition ! Elles riaient, pleuraient, parmi les quolibets, chantaient pouille au passant, la mort au cœur, sentant ce qui les attendait.

Temps joyeux ! les morts même n’étaient pas dispensés d’être de la partie. Au 20 septembre, lorsque, après une baisse de deux jours, reprit la hausse, trois joueurs la fêtèrent toute la nuit à se soûler. Il n’y avait pas moins qu’un parent du régent, le jeune Horn (un d’Aremberg). Le matin, plus qu’ivres, un peu fous, passant au cloître de Saint-Germain-l’Auxerrois, ils voient un corps exposé sous la garde d’un prêtre que le clergé va venir relever. Ils demandent quel est l’imbécile qui se laisse mourir en temps de hausse. « Le procureur Nigon. — Attends, attends, Nigon ! Nous allons te tirer de là. Laisse ton corbeau, ta prison, et viens boire avec nous. » Chandeliers, bénitier, bière, cadavre, tout est jeté sur le pavé. Le clergé arrivait. Le mort est porté dans l’église. On commence le De profundis ; mais, au seuil de l’église, Horn chante un arrêt du conseil. On va chercher la garde ; elle n’ose venir. Le lieutenant de police veut un ordre du Palais-Royal. On y court. La chose racontée au