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pas grand mal. Law alla se promener avec lui à Melun, et fut sur-le-champ converti. De retour le jour même, il communia lestement à Saint-Roch, et le soir donna un bal. L’apôtre en eut 200,000 fr., et, ce qui valut mieux, fut chargé par Dubois de faire valoir à Rome le service si grand qu’il venait de rendre à l’église.

En même temps, par tous les moyens, dons, pensions, achats, etc., Law s’assure des protecteurs. C’est comme une sorte de ligue, de confédération, qui se fait entre les seigneurs pour lui, pour le système. Le grand distributeur est le régent, la machine à donner, « le grand robinet des finances » ouvert, et qui laisse aller tout. Le Palais-Royal en attrape (La Fare, la Parabère), mais autant, mais bien plus les ennemis du régent (La Feuillade un million, Dangeau, un demi-million) ; puis des seigneurs quelconques, Châteauthiers, Rochefort, La Châtre, Tresmes, ont à peu près 500,000 livres chacun, d’autres plus, d’autres moins. Qui refuse est mal vu. Noailles, le ministre économe, est le chien qui défend le dîner de son maître, mais finit par y mordre. Saint-Simon est persécuté ; on tâche de lui faire comprendre qu’il est indécent qu’il refuse. Enfin il se rappelle je ne sais quel argent que doit le roi à sa famille : il se résigne et palpe aussi.

Mais le général du système, le roi du grand tripot, souverain protecteur de Law, c’est M. le Duc. Flanqué des Conti, du conseil, de la Banque, de la compagnie des Indes, d’un monde de seigneurs, d’intéressés de toute sorte, en outre énormément compté comme héritier certain (prochain) de ce régent bouffi qui peut passer demain, il entraîne visiblement tout. Du reste il n’est qu’un masque. En regardant derrière son inepte brutalité, on voit ses vrais moteurs, deux femmes infiniment malignes, sa mère et sa maîtresse, la rieuse et l’atroce, Mme la duchesse et Mme de Prie. La première, toute Montespan, toute satire et toute ironie, jolie sur un corps indirect, eut l’esprit méchant des bossus. Née singe, sur le tard « elle épousa un singe (M. de Lassay). » Elle excellait à rire, à nuire ; intarissable en bouts rimes mordans et cyniques. Mme de Prie tenait plutôt du chat, de sa férocité exquise : sa mère fut la souris. Dès qu’elle fut en force et puissante par M. le Duc, elle la prit dans ses griffes, commença à persécuter ceux qui l’avaient aimée et soutenue. Dans leurs vengeances, leurs plaisirs et leurs gains, cette trinité de l’agio, M. le Duc et les deux femmes, jouissait avec insolence. M. le Duc paya Mme de Prie à son mari 12,000 livres de pension, et pour bouquet de sa double victoire d’amour, de bourse, il s’acheta un Saint-Esprit de diamans de 100,000 écus (septembre 1719). Du gain de la rue Quincampoix, Mme la duchesse se bâtit sur le quai, au lieu le plus apparent, le délicieux petit palais Bourbon, où son vieil épicurisme