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cochons, si peu délicats en fait d’odeurs et de saveurs, sentent le parfum de la truffe à travers le sol : leur odorat, plus sensible que le nôtre, perçoit ces émanations subtiles. Certains chiens, les barbets surtout, peuvent être également dressés à cette chasse ; mais ils se bornent à désigner la place où se trouve la truffe ; la truie au contraire fait tout le travail, elle découvre et déterre la truffe. L’ingratitude de l’homme, qui substitue un aliment grossier à celui qu’elle a conquis, ne la décourage pas ; mais il faut que son gardien soit attentif : sans cela, le précieux tubercule est immédiatement broyé entre ses fortes mâchoires, qu’on s’efforce souvent en vain d’écarter avec un bâton pour lui enlever sa proie.

Cette digression ne nous a pas autant éloigné du Ventoux qu’on pourrait le croire : elle n’était pas inutile pour montrer toute l’importance de la multiplication du chêne au pied de la montagne. On vend annuellement sur le marché de Carpentras, du 1er décembre à la fin de février, pour 2 millions de francs de truffés qui sont envoyées dans l’Europe entière. Actuellement les communes de Bedoin, Villes, Blauvac, Monieux et Methamis afferment une étendue de bois truffiers de 2,700 hectares au prix de 13,290 francs. Sur ces 2,700hectares, la commune de Bedoin n’en possède que 100, affermés au prix de 1,800 francs. Ainsi les 1,000 hectares semés de chênes, qui poussent très bien, seront loués dans quelques années 18,000 francs par an pour l’exploitation de la truffe. La fertilité de ces taillis dure vingt ou trente ans : au bout de ce temps, le sol, trop ombragé et trop garanti de la pluie n’est plus favorable à la végétation du champignon souterrain ; mais alors le taillis peut être exploité comme bois de chauffage au entièrement renouvelé. C’est donc avec une vive satisfaction que j’ai vu au-dessous de la limite des hêtres des taillis de chênes de la. plus belle venue là où en 1836 je n’avais observé que des pentes dénudées ou de misérables champs de seigle dont les chaumes grêles et débiles végétaient au milieu des pierres.

Le reboisement du Ventoux, dont le zèle éclairé du préfet de Vaucluse est à juste titre préoccupé, transformera la montagne elle-même et la contrée qui l’environne. Quand ses pentes seront boisées ; elles ne s’échaufferont plus comme actuellement pendant les chaleurs de l’été. Les courans d’air ascendans n’entraîneront plus les nuages vers le haut de la montagne, où ils se résolvent subitement, sous l’influence du froid, en pluies ou plutôt en averses torrentielles. Les eaux, que nul obstacle n’arrête, ne se précipiteront plus immédiatement dans les ravins et de là dans la plaine. Les nuages, se traînant le long des flancs de la montagne ou s’élevant successivement vers le sommet, se résoudront peu à peu en pluies modérées. L’eau tombant d’abord sur les feuilles des arbres gagnera