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de l’empereur, et la bataille d’Austerlitz n’a guère été que la glorieuse inauguration de la monarchie impériale. Des lors celle-ci n’eut plus à faire de grande efforts pour être acceptée et respectée. Les rois du continent purent la craindre comme conquérante ; ils l’honoraient comme conservatrice. À partir de la paix de Pétesbourg, par quel artifice établir que c’est la cause de la révolution française qui voulait les quatre grandes guerres offensives dont la dernière a perdu la patrie. Parce qu’en 1814, l’Europe couronnée, se voyant victorieuse et toute-puissante, fit des restaurations à profusion, et laissa relever en France le drapeau blanc plutôt qu’elle ne le releva elle-même, il n’en faut pas conclure qu’en 1806 ; en 1810, elle nourrît de pareils projets et rêvât de pareilles chimères. La dynastie impériale était alors fondée pour elle, et ce n’est pas de haut que les vieilles royautés la contemplaient. Ni Alexandre sur le radeau du Niémen ou dans l’entrevue d’Erfurt, ni François II en disposant de sa fille, ne croyaient traiter avec un usurpateur, encore moins embrasser en lui les principes de la révolution française. Ils pensaient au contraire la clore en ralliant avec celui qui, à leurs yeux, l’avait domptée, et quand ils furent réduits à prendre les armes contre lui, c’est sa puissance et son caractère qu’ils redoutaient, et non pas sa philosophie. Ils voyaient en lui le dominateur, non le libérateur, et défendaient beaucoup moins leurs principes que leurs états. Si l’on veut dire qu’une fois chaque guerre engagée, il importait à la révolution même que la France qui l’avait faite fût victorieuse, à la bonne heure : le drapeau tricolore ne peut cesser d’être celui de 1789 ; mais enfin nulle apparence plausible n’autorise à supposer que l’intérêt sacré de l’égalité et de la liberté commandât la guerre d’Espagne ou la campagne de Russie. Et, comme pour démentir cette patriotique hypothèse, le ciel a voulu que les désastres mêmes de la France, par une sorte de compensation, rendissent le ressort et la vie à l’esprit de 1789. Jamais la France n’a été plus libérale que de 1814 à 1848. Regarder l’empire comme la simple continuation de la révolution et non comme un poème qui peut en être détaché, et qui se soutient par sa propre grandeur, c’est prendre l’Iliade pour un épisode, et la trouver insuffisante parce qu’elle ne contient ni l’enlèvement d’Hélène ni la prise de Troie. On croit défendre et l’on rapetisse en réalité Napoléon, lorsqu’on le réduit à n’être qu’un des instrumens de la révolution française. C’est méconnaître en lui une de ces personnalités dominatrices qui agissent pour leur compte et mettent du leur dans les choses humaines. Ses pensées, ses volontés, ses passions, sont bien de lui, et ont imprimé à ses œuvres une originalité ineffaçable. Quoiqu’il ait finalement échoué dans ses principales créations, il a été créateur,