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rencontrèrent par trois fois le redoutable égout : les deux premières il se laissa détourner pour faire place à la voie souterraine ; mais la troisième fois, indignée sans doute des libertés qu’on prenait avec elle, la Fleet rompit ses digues et inonda une assez grande partie du chemin de fer. Ce fut un déluge, une tempête de boue. L’accident ayant éclaté dans la nuit du samedi au dimanche, très peu d’ouvriers se trouvaient sur le théâtre des excavations, et l’alarme se répandit dans la ville. Les antiques superstitions n’auraient pas manqué de voir dans cette catastrophe une sourde protestation de la mère Tellus contre ceux qui avaient violé ses mystères et ses ténèbres sacrées. Au point de vue des religions de la nature, la race anglo-saxonne est la plus impie des races ; elle ne respecte rien des sombres et violentes majestés de l’abîme. À toutes les forces de l’univers divinisées par les anciens elle oppose l’intraitable énergie de sa volonté ; aux résistances et aux révoltes de la matière, elle répond stoïquement : « Je ne veux point être vaincue (I do not like to be conquered). » Ayant enlevé la couronne de l’égout, on finit en effet par se rendre maître de la force du courant. Les sacs de terre, les pompes, les pilotis, tout fut mis en usage, et le dégât se réduisit en somme à deux cents pieds de murailles de brique qu’il fallut rebâtir. Il n’y avait plus désormais aucune confiance à placer dans le caractère sournois et tempétueux d’un tel voisin ; on résolut de traiter avec lui de puissance à puissance, et le noir Styx de Londres, emprisonné dans un vaste tube de fer, fut hardiment conduit au-dessus de la voûte du railway. Il fallut en agir de même avec un second égout, le King’s scholars pond sewer, connu, lui aussi, pour son humeur exigeante et acariâtre. Les travaux, délivrés de ces deux grands ennemis, purent soumettre les autres cours d’eau souterrains par des moyens beaucoup moins coûteux. Une commission visita plus tard à la lueur des torches les parties du Fleet sewer qui n’avaient point été remaniées, et s’assura par ses yeux qu’il n’y avait plus de dangers à craindre.

De tous les obstacles, les plus difficiles à surmonter étaient encore les intérêts. Quoique l’ensemble des travaux se poursuivît sous terre, certaines rues de Londres se trouvèrent barrées pendant des semaines et des mois pour ouvrir des tranchées et des communications avec l’intérieur des tunnels en voie de progrès. Plusieurs quartiers de la ville apprirent bien à contre-cœur comment se construit un chemin de fer. D’abord parurent en plein air, le longues mes et des voies interceptées, de petites maisons de bois portées sur des roues, puis arrivèrent des camions chargés de poutres et de planchés ; enfin se montrèrent les machines à vapeur, les chevaux, les charpentiers, et toute une armée de terrassiers armés de pelles et de pioches. Un bruit de voix, de marteaux, de pics, qui ne