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seizième année. » Ce n’est pas sans motif qu’il a réservé ce détail pour la fin. Ce titre de père de la patrie, dont il fut salué au nom de tous les citoyens par l’ancien ami de Brutus, Messala, semblait être la consécration légale d’un pouvoir acquis par l’illégalité et une sorte d’amnistie que Rome accordait au passé. On comprend qu’Auguste mourant se soit arrêté avec complaisance sur ce souvenir, qui semblait l’absoudre, et qu’il ait tenu à terminer par là cette revue de sa vie politique.

Tel est, rapidement analysé, le monument curieux qu’on appelle le testament d’Auguste. Cherchons, en finissant, quelle impression il laisse sur celui qui l’a écrit.

La vie politique d’Auguste est enfermée tout entière entre deux documens officiels qui, par un rare bonheur, nous sont tous les deux parvenus : je veux dire le préambule de l’édit de proscription qu’Octave a signé, et, selon toute apparence, rédigé lui-même, et que nous a conservé Appien, — puis le testament retrouvé sur les murailles du temple d’Ancyre. L’un nous fait voir ce qu’Octave était à vingt ans, au sortir des mains des rhéteurs et des philosophes, dans le premier feu de son ambition, et avec les instincts véritables de sa nature ; l’autre nous montre ce qu’il était devenu après cinquante-six ans d’un pouvoir sans contrôle et sans limites. Il suffit de les rapprocher pour connaître le chemin qu’il avait fait, et les changemens qu’avaient amenés en lui la connaissance des hommes et la pratique des affaires.

Le pouvoir l’avait rendu meilleur ; ce n’est pas l’ordinaire, et l’histoire romaine ne nous montre guère plus après lui que des princes que le pouvoir a dépravés. Depuis la bataille de Philippes jusqu’à celle d’Actium, ou plutôt jusqu’au moment où il sembla demander solennellement pardon au monde en abolissant tous les actes du triumvirat, on sent qu’il travaille à devenir meilleur, et l’on suit presque ses progrès. Je ne crois pas qu’il y ait un autre exemple d’un effort aussi violent fait contre soi-même, et d’un succès aussi complet à vaincre sa nature. Il était naturellement lâche et se cacha sous sa tente la première fois qu’on fut aux prises avec l’ennemi. Je ne sais comment il fit, mais il parvint à se donner du cœur ; il s’aguerrit en combattant Sextus Pompée, et devint téméraire dans l’expédition contre les Dalmates, où il fut blessé deux fois. Il était cynique et débauché, et les orgies de sa jeunesse, racontées par Suétone, ne le cèdent point à celles d’Antoine ; cependant il se corrigea au moment même où il fut le maître absolu, c’est-à-dire quand ses passions auraient rencontré le moins d’obstacles. Il était né cruel, et froidement cruel, ce qui ne laissait guère d’espoir qu’il dût changer, et pourtant, après avoir commencé par assassiner ses bienfaiteurs, il finit par épargner même ses assassins, et celui à qui son meilleur ami, Mécène, avait un jour donné le nom de bourreau, le philosophe Sénèque put l’appeler un prince clément et débonnaire. De toute façon, l’homme qui a signé l’édit de proscription ne semble plus le même que celui qui a écrit le testament, et il faut admirer qu’après avoir commencé