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avait dirigé le coup, et que cette main ne pardonnait guère, il se procura en toute hâte une barque pontée qui le transporta en Dalmatie. Ce triomphe était loin de suffire aux nouveaux favoris; une émeute de soldats, secrètement ménagée par leurs soins, mit Ravenne en émoi, et arracha à l’empereur de plus larges concessions. L’armée, par la bouche des révoltés, demandait la tête des deux généraux Turpillion et Vigilantius et celle des deux chambellans Térentius et Arsace. Un personnage puissant, du parti des nouveaux eunuques, Jovius, parut alors devant les soldats comme pour apaiser leur colère après les avoir peut-être excités : il les harangua, parlementa avec eux pour sauver, au nom de la discipline militaire, la vie des deux généraux ses collègues, et obtint comme une grâce qu’ils ne seraient que déportés; mais à quelque distance de la côte les malheureux furent massacrés dans le navire qui les emmenait ou jetés à la mer. Quant aux eunuques, dont on ne daigna pas verser le sang, l’un fut exilé à Milan, l’autre relégué hors des domaines d’Occident, sur quelque point de la Romanie orientale. Cette révolution eut pour effet de mettre l’empereur, pieds et poings liés, dans les mains du grand-chambellan Eusébius, et l’empire dans celles de Jovius, qui prit les rênes du gouvernement avec les titres de préfet du prétoire et de patrice.

Ce fut un retour complet au passé, une réaction ardente contre les lois d’Olympius et l’omnipotence du parti religieux exclusif. Tout ce qui tenait de près ou de loin à ce parti fut éliminé des charges publiques. Les généraux barbares, dépouillés du ceinturon par la loi du 14 novembre, reparurent à la cour avec les insignes de leur ordre, non plus en vertu d’une simple tolérance, mais en vertu de leur droit. Pour récompense de sa courageuse honnêteté, Généride reçut un commandement qui embrassait la Rhétie, le Norique, la Dalmatie et la Pannonie, avec la surveillance de la frontière italienne. Les chefs de la garde impériale furent changés : Jovius tranchait, réglait tout dans la maison du prince, comme s’il eût été l’empereur lui-même. Il fit la même chose dans la sphère des lois civiles et religieuses. Les privilèges énormes conférés aux évêques catholiques par les institutions d’Olympius furent abolis l’un après l’autre; la juridiction ecclésiastique rentra dans ses anciennes limites. Défense fut faite à qui que ce fût de violenter la conscience des hérétiques et des païens pour les convertir au catholicisme, et les communions chrétiennes dissidentes recouvrèrent la liberté de tenir leurs assemblées. Attale, encore païen, passa de l’intendance des largesses sacrées à la préfecture de Rome, poste beaucoup plus important dans les circonstances présentes. Jovius reprenait évidemment, dans les affaires intérieures, la politique de Stilicon : régime de tolérance religieuse, équilibre entre les partis,