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car, suivant le mot touchant d’un de ses biographes, « il les avait placés dans le sein des pauvres. » De guerre lasse, ils le renvoyèrent comme une bouche inutile. La Lucanie et les Calabres eurent le même sort que la Campanie, elles furent mises à feu et à sang. L’incendie de Rhegium, qu’on put apercevoir des côtes de la Sicile, apprit aux habitans de Messine le péril qui les menaçait. Alaric en effet voulait passer dans cette île, vierge encore de toute déprédation barbare, gagner de là l’Afrique, et continuer depuis Carthage la guerre contre Rome en l’affamant. Dans cette idée, il fit réunir et appareiller, en face de Messine tout ce que les ports de la Grande-Grèce contenaient de navires et de grosses barques. Il comptait, au moyen de voyages réitérés d’une rive à l’autre du détroit, transporter en Sicile sans beaucoup de peine son armée, ses bagages et ses captifs ; mais au moment où cette flotte improvisée prenait la mer, elle fut assaillie par une soudaine et violente tempête qui dispersa les navires, en engloutit un grand nombre et jeta le reste à la côte. Le roi goth, placé sur une hauteur pour surveiller le passage, put à loisir contempler son désastre : l’armée qui avait pris Rome n’était plus.

Quoique ce malheur fût le résultat du hasard ou de l’imprévoyance, on ne manqua pas d’y chercher une cause surnaturelle, suivant le procédé ordinaire des esprits de ce temps. Pour les chrétiens, l’explication fut très simple et ne laissa point de réplique : « Dieu, après s’être servi d’Alaric afin d’humilier et de châtier Rome, le brisait, comme le potier un vase de rebut ; maintenant que l’œuvre était accomplie, et il ne se souvenait plus que des crimes par lesquels les Goths, instrumens de sa vengeance, avaient puni le crime des Romains. » Tout s’enchaîne dans la doctrine des causes finales, et la première hypothèse admise, il était difficile de se refuser à la seconde. Quant aux païens, ce fut autre chose : ils revendiquèrent pour une de leurs divinités l’honneur d’avoir sauvé la Sicile. Il existait alors près de Messine, entre la rive du détroit et les derniers escarpemens de l’Etna, une vieille statue consacrée jadis par les Siciliens aux puissances de la mer et du feu. Un de ses pieds posait sur un réchaud perpétuellement allumé, symbole du feu éternel, âme de la nature ; l’autre plongeait dans un bassin d’eau courante, image de l’éternité de l’Océan, père de l’univers. Des conjurations magiques redoutables avaient armé le simulacre de la double vertu d’arrêter dans leur marche dévastatrice les laves de l’Etna, et de couvrir la côte contre le débarquement des Barbares. C’était cette statue enchantée qui, au dire des païens, avait suscité la tempête où venait de périr la flotte d’Alaric. Et qu’on ne pense pas que ces folles croyances n’eussent cours que dans les bas-