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des rochers, tantôt franchissant hardiment les vallées, tantôt perçant la montagne. Sans doute il ne faut s’attendre ici à voir rien de pareil aux grandes irrigations de la Lombardie, l’espace manque pour cela ; mais d’ordinaire, dans les prairies au fond des petits canaux cachés par les herbes, on entend courir avec un gazouillement charmant une eau vive, toute brillantée des paillettes argentées du mica, qui permet d’irriguer à volonté.

Les prairies des fonds sont engraissées deux fois. On hâte ainsi la végétation, et il le faut, car la bonne saison est courte. Toutes les matières fertilisantes sont généralement recueillies avec grand soin ; les étables ont des réservoirs à purin en pierre ou en bois ; les vidanges des villes et des bourgs ne se perdent pas, et les habitans des campagnes, qui en apprécient l’efficacité, les achètent à des prix très élevés. Comme la quantité de paille qu’on récolte est insuffisante pour, les litières, on la remplace par des aiguilles de sapin ou par des feuilles sèches, et à cet effet on coupe même les branches de certains arbres. Quand à l’automne on voit les prairies toutes noires de l’engrais qu’on y répand, on s’explique la belle herbe verte dont elles se couvrent l’année suivante.

Là où l’on n’a pas d’alpes de mai, on permet au bétail de couper les premières pousses tendres du printemps, dont il fait ses délices après les privations de l’hiver ; mais c’est une fâcheuse nécessité, car la première récolte du foin en souffre. On fauche une seconde fois à la fin d’août ou au commencement de septembre, et en octobre les vaches, redescendues des alpes, pâturent encore le regain jusqu’à ce que tombe la neige. La faux qu’on emploie est petite, mais très affilée, et c’est merveille de voir comme les prés sont tondus court : on dirait que le rasoir de quelque barbier géant a passé par là. Les alpes de mai sont la condition d’une bonne exploitation, car, en y mettant de bonne heure les troupeaux, on peut réserver les prés de la vallée uniquement pour le foin. Elles sont fumées comme ces dernière ; elles reçoivent tout l’engrais recueilli dans les refuges où le bétail passe la nuit ; aussi, après le départ des troupeaux vers les hauteurs, se couvrent-elles d’une herbe assez forte pour qu’elles puissent se faucher une fois, et donner encore après un bon regain à pâturer.

La rentrée du foin est la fête des vallées ; c’est leur première, parfois leur unique récolte, et du succès alors obtenu dépendent les bons résultats de l’année. Quand la fenaison est terminée, de joyeux et abondans repas réunissent les faucheurs ; le vin ou le most (le cidre du pays) circule à la ronde, et des cris de joie annoncent que la provision pour la mauvaise saison est assurée. Le foin qu’on recueille est délicieux ; il a une odeur pénétrante et aromatique qui parfume tout