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avec ces restrictions, on comprend quel énorme avantage c’est pour les habitans de la campagne de pouvoir obtenir gratuitement les matériaux nécessaires pour entretenir ou rebâtir leur demeure, et les moyens de la tenir chaude pendant les longs hivers. On estime que chaque famille consomme en moyenne par an 2 1/2 klafters cubes (le klafter équivaut à 5,83 stères), ce qui fait en tout, pour les 485,087 ménages qu’accusait la statistique de 1853, un total de 1,212,718 klafters, estimés 25 francs le klafter. En ajoutant une exportation annuelle de bois d’une valeur de 10 millions, on obtient, pour le produit annuel des 712,800 hectares de forêt que possède la Suisse, une somme de 40 millions de francs ou environ 56 francs par hectare[1]. Ce produit est sans doute très beau ; malheureusement il n’est réalisé qu’aux dépens du capital forestier. En effet, d’après les calculs du département de l’intérieur, on estime qu’on ne peut régulièrement obtenir de chaque juchart de 36 ares qu’à peu près un demi-klafter de bois, tandis qu’on en abat 67 centièmes de klafter. L’excès de la consommation menace donc l’avenir des forêts ; on n’en est point étonné quand on songe que le bois est à peu près l’unique moyen de chauffage, non-seulement dans les foyers domestiques, mais dans les usines, dans les bateaux à vapeur, dans les locomotives mêmes, et que, dans une grande partie de la Suisse, les murs, les toits des maisons, des granges, des étables, les clôtures et les conduits d’eau sont uniquement en bois. À mesure que l’industrie se développe, le besoin du combustible augmente ; on le paie à des prix plus élevés, et les causes qui poussent les communes et les particuliers à forcer les coupes agissent avec plus d’intensité. D’autre part, il est vrai, la cherté du bois et l’extension du réseau ferré permettront au charbon étranger de pénétrer en Suisse et de remplacer de plus en plus le bois. L’importation de la houille monte déjà à 70,000 tonnes.

Les funestes effets du déboisement dans les pays de montagnes ont été si souvent et si bien décrits qu’il est inutile d’y insister ici. Nulle part la destruction des forêts ne peut occasionner plus de désastres que dans les hauts cantons, tous couverts de crêtes abruptes et de vallées profondément déchirées. Que dans les gorges alpestres certains bois protecteurs soient abattus, et en quelques années l’aspect du pays change, la montagne se pèle, les versans se ravinent, la terre végétale des pentes gazonnées est emportée par les eaux ; il ne reste plus que le rocher mi, et dans les vallées les terres cultivées disparaissent sous les débris qu’entraînent les torrens.

  1. D’après M. J. Clavé, l’hectare de forêt ne produit en France que 34 francs et en Prusse que 22 francs seulement ; mais il est à remarquer que les bois de la Suisse sont presque tous des futaies peuplées d’arbres séculaires.