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de la ferme qu’elle occupe. Le nombre des journaliers est donc moins grand que dans les autres pays. Il s’ensuit que leur salaire est en général élevé : il doit être environ de 1 fr. 50 c. à 2 fr. Le nombre des serviteurs des deux sexes faisant partie du ménage rural est plus considérable ; ils partagent les occupations et les repas du fermier, et paraissent satisfaits de leur sort. Leurs gages ont presque doublé depuis une quinzaine d’années.

On a pu voir dans une étude précédente[1] qu’en Flandre, pays de petite propriété et de petite culture, la terre, fécondée par un travail intelligent et incessant, donne des produits plus abondans et plus riches que partout ailleurs ; mais le cultivateur qui crée ces richesses n’en jouit pas : il n’a souvent ni indépendance, ni instruction, ni bien-être ; il est à la merci de son curé et de son propriétaire, tiraillé entre les deux quand ils sont en désaccord, comprimé par les deux quand ils s’entendent. Il n’a qu’une nourriture végétale grossière, et la plupart du temps il ne sait ni lire, ni écrire. C’est qu’il ne possède pas la terre qu’il cultive. La Suisse nous offre un tableau bien différent. Le produit brut n’est pas énorme, mais il est également réparti. Les grandes fortunes sont rares, mais tout le monde est dans l’aisance. C’est que chacun à peu près est propriétaire. La civilisation est semblable à ce métal divin, forgé, disaient les anciens poètes, d’or, d’argent et de bronze : elle est formée de bonnes mœurs d’abord, ensuite de lumières, enfin de bien-être. Quelques chiffres montreront à quel degré s’est élevée la Suisse sous ces trois rapports. Commençons par le bien-être matériel, c’est ce qu’on peut le mieux constater. Se nourrir, se loger, se vêtir, voilà les trois besoins auxquels l’homme doit pourvoir. La Suisse est le pays du continent où l’on consomme le plus d’alimens d’origine animale : on compte par tête et par an 22 kilos de viande, 12 kilos de fromage, 5 kilos de beurre et 182 kilos de lait. La consommation de sucre et de miel, qui monte à 5 kilos, et celle du sel, qui va à 14 kilos, est aussi plus élevée qu’ailleurs. Sous le rapport du logement, la Suisse présente encore des conditions extrêmement favorables. Dans la campagne, chacun a sa demeure ; et celle-ci est toujours spacieuse et bien éclairée, car de lourdes taxes n’ont pas fait mesurer ici d’une main avare l’air et la lumière. Les châteaux manquent, mais nulle part on n’aperçoit ces tristes masures à une ou deux fenêtres que les statistiques nous montrent encore si nombreuses en France et en Angleterre. Les Alpes forment la ligne de démarcation de deux systèmes de construction tout à fait différens. Au midi, où il s’agit de se préserver de la chaleur, les maisons

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1861.