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dont toutes les forces étaient employées et engagées dans une expédition qui pouvait durer encore un mois. Se retirer c’était tout perdre, même l’honneur ; ils n’y pensèrent pas. Les deux capitaines adressèrent un ultimatum aux chefs taï-pings, dans lequel ils exigeaient impérieusement la cessation de tout travail d’attaque contre les Européens et la démolition, dans un délai de vingt-quatre heures, de la batterie dirigée contre le Malo. Les rebelles, au nombre de 20,000 bien armés, avec des canons de gros calibre et une centaine d’Européens parmi eux, ne tinrent aucun compte de cette sommation. Le 10 mai, dès le matin, tout le monde ! était aux pièces. Quelques jonques impériales, mouillées hors de portée, envoyèrent quelques volées, se retirèrent et ne reparurent plus de la journée. Les rebelles répondirent tout de suite et couvrirent l’escadre alliée de balles et de boulets. Les deux officiers commandans s’y attendaient ; mais, pour conserver le bon droit de leur côté jusqu’à la fin, ils n’avaient pas voulu ouvrir le feu les premiers. Ils envoyèrent immédiatement leur bordée, et la canonnade devint bientôt acharnée de part et d’autre. Trois fois l’ennemi abandonna ses pièces, écrasé par la puissance de l’artillerie des bâtimens ; trois fois les chefs rebelles ramenèrent des troupes fraîches et recommencèrent le combat à outrance. À deux heures de l’après-midi, la flottille mettait à terre le plus de monde possible pour tenter l’escalade a une brèche faite à la face nord. Pendant l’assaut, les navires devaient appareiller, concentrer leurs feux sur un pont-estacade garni de canons, le briser, s’engager dans le bras du fleuve qui longe la face sud de la ville et couper ainsi la retraite à l’ennemi. Trente Français conduits par le capitaine Kenney et quatre-vingts Anglais commandés par le capitaine Dew, protégés par le feu de la canonnière, plantèrent les échelles au pied des murailles, et l’on vit bientôt cette poignée d’hommes se précipiter à l’assaut d’une ville défendue par 20,000 rebelles. Ce coup prodigieux d’audace réussit malgré la défense désespérée des Taï-pings, qui chargèrent trois fois à l’arme blanche. Les alliés se maintinrent sûr les murailles, et bientôt les rebelles, entendant derrière eux le bruit des canons de l’escadre qui avaient coupé l’estacade, lâchèrent pied et gagnèrent la porte sud avant que leur ligne de retraite sur la campagne ne fût interceptée[1].

La prise de Tsin-poo avait brillamment terminé la campagne sur la rive gauche du Whampoa. Avec les trois villes fortifiées de Kia-ding, de Tsin-poo et de Son-kiang, avec les garnisons que les alliés

  1. Ce brillant fait d’armes coûta cher aux Français : le capitaine Kenney, arrivé le premier sur la brèche, reçut un coup de feu qui lui traversa la poitrine. Il mourut dix-sept jours après, laissant un nom illustré par la conception et l’exécution énergique d’un plan d’attaque d’une grande hardiesse contre une ville formidablement défendue,