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n’est-il pas juste du moins de faire remarquer que ce rôle, si favorable à la popularité d’un grand talent, n’en compromit nullement le crédit auprès des représentans officiels du nouveau régime? Non-seulement l’administration des Beaux-Arts s’était empressée d’acquérir les toiles qui pouvaient raisonnablement trouver place dans les palais royaux, — la Bataille de Toloza entre autres et le Massacre des Mamelucks, — mais un prince du sang, le duc d’Orléans, se déclarait ouvertement le protecteur du jeune maître, et composait presque exclusivement sa galerie d’œuvres dont il avait lui-même prescrit et suivi jour par jour l’exécution. Un peu plus tard, le roi Charles X allait au-devant de ce talent, sans prétendre pour cela le détourner de sa route accoutumée, ni le confisquer une fois pour toutes à son profit. Il lui demandait, entre deux entreprises consacrées à de tout autres modèles et à des souvenirs bien différens, son propre portrait équestre, — un des meilleurs ouvrages du peintre en ce genre, — et cette Bataille de Fontenoy qu’on doit citer comme l’essai le plus heureux qu’Horace Vernet ait tenté en dehors des scènes contemporaines et des sujets à figures de petites proportions. Enfin, lorsque le moment fut venu de donner un successeur à Guérin dans les fonctions de directeur de l’académie de France à Rome, le roi choisit, parmi les noms qui lui étaient présentés, celui d’Horace Vernet.

On le voit, rien en tout ceci qui ne soit, de part et d’autre, fort étranger aux façons d’agir d’un persécuteur ou à l’attitude d’une victime, et, s’il faut reconnaître les droits qu’avait Horace Vernet aux encouragemens de tous les genres, il convient aussi de se rappeler que, pas plus alors que depuis, ces encouragemens ne lui furent marchandés par personne. Disons plus : la faveur dont son talent a été l’objet a pu entraîner parfois d’assez fâcheuses conséquences. En accueillant avec trop d’empressement ce talent en général un peu futile, on courait le risque d’encourager aussi et de propager dans l’art l’esprit d’aventure ou d’industrie, de même qu’en essayant de s’opposer à la publicité de certaines œuvres, on n’arrivait par là qu’à les rendre plus attrayantes encore en appelant sur elles un surcroît d’intérêt et de curiosité. Aujourd’hui heureusement, à la distance où nous sommes des faits, l’équité nous est facile; il y a quarante ans, au milieu des intérêts et des passions en lutte, on pouvait, on devait même juger les choses avec moins d’impartialité et de clairvoyance. On pouvait par exemple attribuer à une petite tracasserie administrative la grave signification et la portée d’un coup d’état, s’insurger de la meilleure foi du monde contre une tyrannie absente ou simplement maladroite, opposer enfin un excès de zèle pour les libertés de l’art et de la pensée à des mesures prescrites,