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faciles d’ailleurs à résumer en paroles qu’à convertir en exemples pratiques, en actes parfaitement concluans. N’en va-t-il pas en effet des scènes militaires peintes par Horace Vernet au grand scandale de certains puristes comme des libretti que la plume de Scribe a livrés pendant tant d’années aux applaudissemens de la foule et aux arrêts rigoureux des lettrés? Rien de plus aisé ni de plus légitime que de reconnaître et de signaler les côtés défectueux de pareils travaux; rien de plus rare toutefois, même parmi les plus habiles, que l’art de se plier ainsi aux conditions du genre, et d’arriver, le cas échéant, à faire mieux ou seulement aussi bien. Les tableaux de bataille que nous ont donnés, sous le dernier règne, des peintres d’histoire ou de portrait démontrent assez la supériorité du talent d’Horace Vernet dans ce genre spécial. Quant aux meilleurs témoignages fournis à cette époque ou depuis par les peintres de batailles de profession, quelle valeur secondaire n’ont-ils pas, de quelles hésitations, de quelle froideur ne semblent-ils pas porter l’empreinte, lorsqu’on se rappelle les preuves, tout autrement significatives, qui s’étalent sur les murs de la salle de Constantine, dans le palais de Versailles ! Seul, Horace Vernet pouvait, en représentant l’Attaque de la citadelle d’Anvers, trouver le secret de nous intéresser à une scène presque sans action, à une sorte de conseil de guerre tenu entre les chefs de l’armée dans l’intérieur d’une tranchée, tandis que les bombes lancées contre la place font mystérieusement leur office, et que les événemens qui amèneront la capitulation s’accomplissent loin de nos regards. Lui seul aussi, en traitant un sujet tout contraire, — les Colonnes d’assaut gravissant la brèche de Constantine, — était en mesure d’exprimer à souhait la tumultueuse énergie de ce rude effort, ce pêle-mêle de combattans et de débris, cette montagne vivante s’élevant sur une montagne de murs écroulés et de terrains glissans, cette vague humaine heurtant de toute son impétuosité, de toute sa furie, et les obstacles qu’elle a déjà renversés, et ceux qui protègent encore la proie qu’elle va conquérir. Jamais l’héroïque confusion d’un assaut n’a été rendue avec plus de vraisemblance, jamais la turbulence d’une foule en armes décidée à vaincre et déjà au moment de saisir la victoire n’a été plus vivement, plus franchement reproduite. Qu’on ne trouve pas là un tableau, c’est-à-dire un ensemble de lignes et de couleurs se pondérant les unes les autres, une image auguste de l’idéal, une composition régulière ayant son centre principal et sa circonférence, son foyer de lumière et ses rayonnemens, son origine et ses conséquences choisies, — je le veux bien. A coup sûr, on ne refusera pas d’y reconnaître un portrait saisissant de la réalité et le bulletin militaire le plus véridique qu’il appartienne au pinceau de tracer.