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plume. J’en ai là par centaines, et, pour en donner une idée, je choisis presque au hasard.


LE BEN-CRUACHAN. — SOIR D’HIVER.

« Sur toutes les cimes, une neige épaisse, terminée par le vent, comme une statue par le ciseau d’un sculpteur soigneux. Çà et là je puis voir s’élever en guirlandes, des bords du grand précipice qui avoisine le sommet du Cruachan, ce qui me semble une légère fumée d’un blanc très vif. Elle quitte d’abord avec lenteur le flanc de la montagne, puis se roule sur elle-même tout soudainement, et en s’évanouissant jette une sorte de lumière blanche. C’est de la neige emportée par des tourbillons qui se combattent. Si j’étais là, elle m’aveuglerait, et je trouverais le phénomène peu rassurant. D’ici elle m’apparaît comme une flamme argentée qui vient faire à la montagne, de son lumineux duvet, une espèce de panache.

« Le soleil se couche à l’autre bout du lac. Chaque proéminence du Ben-Cruachan jette sur la neige une ombre d’azur vivement découpée. Il faudrait huit jours à un artiste laborieux pour donner avec une exactitude à peu près suffisante le contour de toutes ces ombres, et je dois me contenter d’une rapide esquisse, car le soleil descend rapidement à l’horizon.

« En ce moment, le tableau est achevé, le ciel est devenu d’un vert nacré, plein de dégradations exquises. On n’y voit qu’un seul nuage, et placé justement où on le voudrait. Il s’est levé derrière la cime de la montagne et s’y tient arrêté comme le nimbe d’or derrière la vénérable tête blanche d’un saint ; mais ce nuage est d’un rose vif qui monte rapidement au gris pourpre le plus foncé. Son rebord inférieur, sous l’effort du vent, s’arrondit en une courbe douce et unie ; le bord supérieur au contraire flotte et se fond graduellement dans l’atmosphère d’un vert pâle. La forme générale de ce nuage est celle d’un dauphin dont la queue serait cachée par la montagne.

« Le lac, tout à l’heure parfaitement calme, où se réfléchissent les clartés roses du soleil, l’ombre bleue des rochers, les teintes vertes de la voûte céleste, frissonne maintenant çà et là aux endroits où descend la bise glacée du nord. »


UN CLACHAN (HAMEAU D’ECOSSE).

« Regardez, après la pluie, un de ces pauvres clachans étincelant alors des couleurs les plus vives. Les cabanes sont bâties de gros blocs de pierre brute, hautes d’un étage seulement, et coiffées d’ajoncs rustiques. L’architecte n’a rien fait pour les embellir : la nature