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d’autres ont été blessés, et tous, à de rares exceptions près, se sont montrés serviteurs fidèles, souvent même trop zélés, de leur nouveau maître. Un journal anglais de Shang-haï, le North China Herald, publiait, il y a deux mois environ, un document qui fournit, à l’appui de notre opinion, une preuve assez curieuse : c’est une lettre adressée par le commandant français du contingent chinois de Shao-shing, M. d’Aiguebelle, au consul de France à Ning-po[1] .

« Monsieur le consul, j’ai l’honneur de vous informer que je vais prendre les mesures suivantes en vue de supprimer la piraterie, qui prend dans cette province des proportions de plus en plus sérieuses. Tout individu qui n’est pas muni d’un passeport ou d’un laisser-passer de son consul sera arrêté et mis en prison. — Tout délit commis au préjudice d’un Chinois sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an, suivant la gravité de l’offense. — La prison sera placée sous la surveillance des mandarins. Les prisonniers seront enchaînés. Leur ration consistera en deux galettes de biscuit par jour. — Tout individu pris les armes à la main sera fusillé sur-le-champ. — Tout individu muni de papiers en règle, et qui aura commis un délit au préjudice d’un Chinois, sera retenu en prison jusqu’à l’époque où il pourra être jugé; son passeport sera envoyé à son consul, et, s’il est reconnu valable par ce fonctionnaire, le coupable sera mis à la disposition des autorités consulaires. — Les mandarins sont invités à arrêter tous ceux dont les papiers ne sont pas en règle; ils enverront les délinquans au quartier-général de Shao-shing, où le commandant instruira leur affaire.

« Je vous serais obligé, monsieur le consul, si vous vouliez endosser (endorse) ce document et le communiquer à messieurs vos collègues. Ce serait, je crois, d’un bon effet si vous le faisiez afficher à la porte du consulat. J’en envoie une copie au North China Herald, afin de le faire connaître à Shang-haï. »

Cette lettre, dans laquelle un Français, en qualité de général chinois, assume le droit de juger tous les étrangers qu’il rencontrera dans une province que de son propre mouvement il déclare en état de siège, cette lettre adressée au consul français avec prière d’en faire part aux autres consuls européens et de la rendre publique, n’est qu’une des mille preuves du caractère presque officiel que l’intervention franco-anglaise dans les affaires de la Chine conserve encore, même lorsqu’elle n’émane plus des représentans accrédités à Pékin. Il serait urgent d’examiner cet état de choses et de définir clairement le rôle que la France et l’Angleterre se réservent dans la guerre civile; mais il n’est pas de la dignité de ces deux grandes puissances de souffrir qu’un fonctionnaire, par l’unique raison qu’il est Anglais ou Français et qu’il a su faire agréer ses services au gouvernement chinois,

  1. Nous donnons ce texte d’après la traduction anglaise que le journal de Shang-haï a publiée.