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car nulle part je n’ai trouvé autant de bienveillance, autant de sûreté et de franchise dans les relations que dans ce petit coin de terre nommé le Shang-haï settlement.

J’avais fait mes visites d’adieu, et je surveillais dans ma chambre le boy (domestique chinois) occupé à faire mes malles, lorsque je vis entrer M. W..., mon ancien compagnon de voyage dans le midi de la Chine et en Cochinchine. Il venait d’accomplir une longue excursion, durant laquelle il avait visité les principales villes de commerce baignées par le Yang-tse-kiang, et je n’avais pas encore eu l’occasion de l’informer de mon projet de retour en Europe. Aussitôt que je lui en eus dit quelques mots, il repoussa l’idée de ce départ précipité. Il m’apprit qu’il venait d’envoyer de Hong-kong un bateau à vapeur à Nagasacki, et qu’avant de le vendre au gouvernement japonais il avait l’intention de s’en servir pour faire un voyage autour du Japon. Il m’engagea fort à l’accompagner, promettant de me débarquer à Nikolajefsk, si j’avais dessein de revenir en Europe par la Sibérie, ou de me laisser à Yokohama, ou je devais trouver un bon navire en partance pour San-Francisco. Ces deux routes étaient nouvelles pour moi, car j’étais venu de France en Chine par la malle anglaise, voie d’Egypte. Outre l’attrait de la nouveauté, elles m’offraient l’occasion de revoir quelques amis qui habitaient le Japon, où j’avais déjà séjourné pendant quelque temps. L’essentiel était d’abandonner Shang-haï. J’acceptai donc sans trop hésiter l’offre de M. W... Il fut convenu que nous nous retrouverions dans les premiers jours de septembre à Nagasacki, et que là nous monterions à bord du Saint-Louis, le bâtiment de M. W..., pour faire un voyage d’exploration et d’agrément autour du mystérieux empire gouverné par le mikado et le taïkoun[1]. Ce voyage, entrepris un peu à l’aventure, me retint, contre mon attente, pendant treize mois au Japon, et me permit de recueillir sur une société trop peu connue encore et de plus en plus mêlée à nos intérêts d’assez nombreux souvenirs que j’essaie de résumer ici.


I

Nous avions quitté Shang-haï le 23 août 1861, et le 2 septembre, après dix jours d’une navigation pénible, nous arrivions à Nagasacki. Le seul incident notable de la traversée fut une courte visite à l’île de Quelpart, dont peu de voyageurs ont parlé. Cette île, située entre 33 et 34 degrés de latitude nord et 126 et 127 degrés de longitude

  1. On sait que le mikado est le chef légitime du Japon, et que le taïkoun, son serviteur, est chargé du pouvoir exécutif. Voyez à ce sujet la Revue du 1er mai 1863.