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Quelques jours après la célébration de la grande madzouri, M. W... me dit que son bateau à vapeur, le Saint-Louis, était prêt à partir. Je pris congé de mes amis de Décima et d’Oora, puis, pour graver dans mon esprit le plus agréable souvenir de la charmante ville que j’allais quitter, je montai pour la dernière fois la colline qui s’élève au midi de Nagasacki et au pied de laquelle a été placé le consulat anglais. C’était au mois d’octobre. La nature n’avait encore rien perdu de sa fraîcheur et de sa vivacité, et déroulait à mes yeux un horizon enchanteur. Parvenu sur une plate-forme située à huit cents pieds au-dessus de la mer, je vis s’étendre à ma droite la magnifique baie de Nagasacki; elle était couverte de jonques et de navires et sillonnée en tous sens par des barques dont la brise du soir enflait les grandes voiles blanches, et qui glissaient silencieusement sur les eaux d’un bleu profond. A mes pieds étaient Oora avec ses habitations à l’européenne, Nagasacki avec ses longues rues, ses petites maisons blanches, ses innombrables temples dont l’immense toiture étincelait au soleil couchant, puis Décima, la fabrique d’Akonoura, Inassa et l’établissement russe, et plus loin, au nord de la baie, la vaste plaine, parsemée de bourgades et de chaumières, où j’avais fait de si agréables promenades. A ma gauche, au sud, apparaissaient des îles sans nombre, les unes vertes, cultivées, couvertes de champs, de forêts et de villages, les autres nues et désertes. La mer les entourait toutes comme d’une immense ceinture d’azur et d’argent : elle était belle et caressante, et j’oubliais que bien des fois je l’avais vue furieuse, apportant la terreur et la désolation.

Ainsi s’est effacé dans mon esprit ce que j’ai vu de triste, de douloureux même, pendant mon séjour au Japon ; mais le souvenir de l’incomparable beauté de ce pays et de sa douce et intelligente population est resté vivant dans ma mémoire.


RODOLPHE LINDAU.