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de son naturel, le Pigna voulut mal de mort à l’insolent qui chassait sur ses terres. Sa jalousie fut encore envenimée par une joute oratoire où le Tasse soutint victorieusement contre lui, et avec l’applaudissement de la cour, cinquante conclusions amoureuses. Pour le malheur du Tasse, le Pigna avait le bras long. Adroit, dissimulé, plein de manèges, ce professeur de philosophie morale exerçait à la cour des charges importantes ; historiographe de la maison d’Este, il était aussi secrétaire du duc Alphonse, qui le consultait en tout, et dont il avait l’oreille… La jalousie du Pigna et les beaux yeux de la Bendidio, voilà la cause certaine des malheurs du Tasse.

Sixième tassiste. — Monsieur le baron, le comte Luigi Cibrario, que vous connaissez sans doute de réputation, a découvert récemment quelques lettres inédites de Lucrezia Bendidio au cardinal Louis d’Este. Ces lettres prouvent que le cardinal fut l’amant de la Bendidio, et que, furieux de trouver dans le Tasse un rival aussi dangereux qu’entreprenant, il fut le principal auteur de sa perte.

Septième tassiste. — Le comte Cibrario est un historien du plus grand mérite, et quand il serait prouvé qu’il s’est trompé une fois dans sa vie, sa réputation n’en souffrirait aucune atteinte. Aussi je ne me fais pas scrupule de déclarer que sa conjecture repose sur des bases bien fragiles. Dans les huit lettres sur lesquelles il s’appuie, et qui ne portent ni adresse ni signature, le Tasse n’est pas une seule fois nommé. La Bendidio parle ironiquement, à plusieurs reprises, d’un bonhomme qui compose des vers, et le comte Cibrario croit qu’elle désigne ainsi le Tasse. Notez, monsieur le baron, qu’à cette époque le Tasse avait composé l’Aminta ; notez encore que la Bendidio était une femme d’esprit. Si demain vous découvriez une lettre inédite de Mme de Caylus ou de Mme de Maintenon, dans laquelle il serait parlé d’un bonhomme qui compose des vers, pourriez-vous croire un instant qu’il s’agît de Racine ? D’ailleurs il résulte d’une lecture attentive des huit lettres que ce bonhomme ne faisait pas la cour à la Bendidio pour son propre compte, mais qu’il plaidait auprès d’elle la cause de son patron. Tout ce qu’il serait permis d’inférer, c’est que le duc Alphonse se mit en tête de souffler sa maîtresse à son frère le cardinal, et qu’un bonhomme qui composait des vers lui servit de Mercure.

Huitième tassiste. — Monsieur le baron, que dirons-nous de la seconde Léonore, Leonora Sanvitale, comtesse de Scandiano ? Vingt fois, dans ses Rimes amoureuses, le Tasse l’a désignée par les allusions les plus transparentes. Que dirons-nous aussi de la troisième Léonore, camériste de la princesse Léonore d’Este, cette bella cameriera à laquelle il écrivait : « Tu es brune, mais belle comme la