Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

décrire ; nous ne dirons rien de Nankin, nous nous dispenserons de l’oraison funèbre qui serait due à la fameuse tour de porcelaine, aujourd’hui couchée sur le sol ; nous négligerons les détails de paysage qui abondent, aussi pittoresques que variés, dans cette région du fleuve, et nous irons droit et tout d’une traite aux extrêmes frontières de la Chine licite, à Han-kow, c’est-à-dire au point où commence la Chine qui n’est pas encore ouverte, avec ses mystères inexplorés auxquels s’attache le charme du fruit inconnu et défendu.

Han-kow, Han-yang et Wou-chang, capitale de la province du Hou-pé et résidence d’un vice-roi, sont situées au confluent du Kiang et de la rivière Han. Ces trois villes, en réalité, ne forment qu’une. seule et vaste cité dont les quartiers sont séparés par les eaux du fleuve et de la rivière. C’est là que M. Hue a logé une population de 8 millions d’âmes, non sans exciter un vif sentiment d’incrédulité. Nulle part il n’existe une telle agglomération, un tel entassement d’êtres humains, et, bien que l’esprit soit disposé à concevoir en Chine des choses qui ne se voient nulle part ailleurs, les 8 millions dénombrés dans la féconde relation de M. Huc ont été généralement contestés. M. Blakiston et M. Oliphant évaluent à 1 million d’âmes environ la population des trois villes ; mais ils ajoutent que, lors de leur passage, le pays était à peine délivré de la présence des Taï-pings, qui l’avaient mis à feu et à sang, de telle sorte que ce million ne serait plus qu’une population de ruines, et que l’on pourrait admettre un chiffre de 3 millions pour cette trinité de villes chinoises. Il est donc permis de donner l’absolution au père Huc, qui avait vécu trop longtemps en Chine pour ne pas y avoir pris, malgré lui sans doute, les habitudes et les termes d’exagération du terroir. Quand les indigènes du Céleste-Empire veulent exprimer l’idée de multiplicité, ils parlent de millions et de myriades, et les chiffres ne leur coûtent rien. C’est au voyageur de se mettre en garde contre ces formes de langage, et de ne point y chercher les élémens d’une indication statistique. Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse de 8 millions ou de 3 millions, la population de Han-kow est énorme ; elle dépasse de beaucoup par le nombre celle de nos capitales européennes ; elle ne serait pas moindre que celle de Pékin, et l’on se demande en vérité comment de telles foules peuvent naître, vivre et mourir dans de si étroits espaces, comment les approvisionnemens arrivent et se distribuent régulièrement, par quels procédés l’ordre et la paix sont maintenus, ou à peu près, au milieu de ces masses épaisses qui s’agitent incessamment dans l’enceinte d’une grande ville chinoise. A Paris et à Londres, ces difficiles problèmes de l’ordre, des subsistances, de l’hygiène, ne sont résolus qu’au moyen d’une police toujours en éveil, par les efforts d’une administration très active,