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sur le Yang-tse-kiang, car les navires de fort tonnage peuvent aisément remonter jusque-là, c’est-à-dire à trois cent cinquante lieues de la mer. L’expédition s’y arrêta pendant trois jours. Pour éviter les curieux, on avait eu soin de mouiller la jonque sur la rive opposée à la ville. Vaine précaution ! la foule ne cessait d’assaillir les étrangers, et elle était surtout empressée aux heures des repas. Dès le second jour, les habitudes de la jonque étaient parfaitement connues : à l’approche du déjeuner, du tiffin et du dîner, les naturels d’I-chang encombraient le rivage comme si on les avait convoqués par un son de cloché, et ils assistaient à une représentation qui paraissait les intéresser vivement. Peut-être le patron s’était-il avisé d’exploiter à son profit la curiosité populaire en vendant les premières places et en annonçant les heures des repas, absolument comme le directeur d’une ménagerie appelle les spectateurs au moment où les animaux doivent se livrer aux exercices les plus émouvans. M. Blakiston n’est pas bien sûr de n’avoir pas été montré pour de l’argent aux bons citoyens d’I-chang, et cela n’a rien d’invraisemblable. L’Européen en pays chinois doit prendre son parti de pareilles aventures. Du reste, à I-chang de même que dans les autres villes où les voyageurs s’étaient arrêtés depuis leur départ de Han-kow, la population se montra bienveillante et pleine d’égards. Pas le moindre signe d’hostilité ni de mécontentement. On a si souvent représenté les Chinois comme offensés et indignés de la présence des étrangers sur leur territoire, on a si souvent parlé de leur antipathie nationale contre les hommes et les choses du dehors, qu’il n’est pas sans intérêt de signaler les dispositions amicales que l’expédition rencontrait sur son passage. Les Sycks de l’escorte furent également les bienvenus à I-chang. Ils y trouvèrent des musulmans qui leur firent fête en qualité de coreligionnaires, le culte de Mahomet étant très librement professé dans les différentes régions de la Chine. Enfin, pour achever la série des observations recueillies à la hâte par M. Blakiston pendant son séjour à I-chang, nous mentionnerons certains bateaux peints en rouge qui stationnaient de distance en distance près des rives du fleuve, et qui remplissaient l’office de bateaux de sauvetage. Jusqu’ici les voyageurs avaient remarqué que la Chine est peut-être le pays du monde où il y a le plus de noyés, remarque aussi naïve que judicieuse dans une contrée où une partie notable de la population habite, travaille ou circule incessamment sur l’eau ; mais on n’avait pas encore observé que les Chinois eussent des préservatifs contre ce genre de mort : on croyait même, et cette opinion a été reconnue exacte pour Canton, qu’il n’est pas d’usage en Chine de repêcher les gens qui se noient. Les bateaux rouges d’I-chang prouvent que les Chinois possèdent comme nous et sans doute possédaient avant