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nos regards, s’est offert à nous quelque maigre buisson épineux, quelque pâle fleurette, une touffe d’oléandres, des joncs flétris tristement penchés au bord d’une mare ou quelque arbrisseau desséché qui semble se ronger de tristesse et d’ennui ! Mais quelques minutes encore, madame, et vous allez être témoin du changement à vue le plus surprenant qui se puisse imaginer. Et déjà ne vous paraît-il pas que la vie se ranime autour de nous ? L’air n’est-il pas devenu plus pur, plus léger, plus limpide ? Ne respirons-nous-pas plus librement ? Prêtez l’oreille ! Quel est ce bruit ? C’est un murmure d’eaux jaillissantes, c’est un coup de vent qui se promène dans l’épaisseur d’une futaie. Ah ! madame, nous venons de mettre le pied sur les cendres fécondes des monts albains ; nous commençons à en gravir les pentes. Adieu la plaine et son morne aspect ! Soudain, et sans avoir eu le temps d’y penser, nous voilà plongés au sein d’un monde de délices où tout respire l’ivresse et l’abondance. Le chemin serpente entre des haies gigantesques et des talus gazonnés constellés de cyclamens ; à droite et à gauche de champs cultivés, des prairies veloutées, des vignes verdoyantes, des maisons de plaisance, des jardins pleins de roses, les arbres de toutes les zones rapprochés et confondant leurs ombrages, des noyers au tronc blanchâtre égarés dans de grands bois d’oliviers, des noisetiers en compagnie de cyprès et de lauriers, des pins dominant de leur cime arrondie en parasol d’ombreuses forêts de chênes, et, sur la lisière des châtaigneraies, les amandiers, les citronniers, les figuiers, les orangers, les grenadiers pliant sous le poids de leurs trésors…

— Et mieux encore, dit Mme Roch : monseigneur Spinetta qui nous attend.

— Il ne nous attendra pas longtemps. Ce jour-là, je jouais de bonheur. À cinq minutes de la ville, je mis pied à terre et ordonnai à mon cocher d’aller remiser sa voiture à l’Hôtel de Londres. Aussitôt une bande de Scipions qui guettaient le moment… Je fis le moulinet avec ma canne et dispersai cette sotte engeance. Je monte, non sans me retourner pour contempler le paysage. Un ecclésiastique vient à passer : je l’accoste et m’enquiers de monseigneur Spinetta ; mais au même instant je vois s’avancer par-dessus le mur d’une terrasse, entre deux branches de chèvrefeuille, une aimable tête joviale surmontée d’une petite calotte violette, et voilà une bouche qui sourit, deux grands bras qui gesticulent et une voix qui me crie : — Si je ne me trompe, je vois ici le baron Théodore qui s’en vient disserter sur le Tasse avec l’abbé Spinetta. Qu’il soit le bienvenu !… — Un quart d’heure après, j’étais à table et faisais honneur à un déjeuner, ma foi ! fort succulent… L’abbé et moi, tout en mangeant,