Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de plus charmant, l’architecture mariant ses grandes lignes régulières aux caprices d’une végétation libre et touffue, la blancheur du marbre unie à l’éclat de la verdure, des colonnades où s’enlacent le lierre et la vigne. Et dans ces jardins dont l’air est embaumé par les orangers en fleur je vois se presser une foule de gentilshommes, l’épée au côté, la plume au vent, et de nobles dames vêtues de soie brochée d’or, — au milieu d’eux, des hommes de guerre, des architectes, des peintres, des musiciens, des philosophes, des poètes. Tout ce monde est en fête ; tour à tour on se promène, on danse, on chante, on cause, on plaisante, on disserte… À l’heure la plus brûlante du jour, en sortant de table, la maîtresse de la maison se retire pour faire la sieste ; alors les cavaliers ; s’en vont s’asseoir sous un berceau de verdure ou dans un bosquet de peupliers, au bord d’un clair, ruisseau, et ils raisonnent sur la politique ou se livrent au plaisir de médire tout doucement du prochain, al piacere del motteggiare… Tout à coup on entend aboyer les chiens de manchon de madame. Elle a fait sa sieste, elle redescend au jardin. On accourt au-devant d’elle ; on prend place dans la loggetta, et tour à tour on cause, on brode des contes, les hommes de guerre font le récit de leurs campagnes, les philosophes disputent sur les nombres et les idées, les peintres raisonnent sur leurs tableaux, les poètes récitent des vers, les musiciens chantent en s’accompagnant de leur viole d’amour… Des contes, des réflexions morales, de la métaphysique à petite dose, des chansons, des airs de guitare, le parfum des orangers en fleur, quelle fête ! Et en l’honneur de qui cette fête ?… Ah ! ne vous y trompez pas, l’heureuse aventure qu’on célèbre ici, dans ces jardins, dans cette loggetta, ce n’est pas seulement le mariage de la vertueuse signora Camilla avec le marquis della Tripalola, — mais un autre mariage encore d’une bien autre conséquence, les épousailles de la science et du monde… Ils avaient vécu pendant des siècles sans se connaître, ou si parfois ils s’étaient rencontrés, ils n’avaient ressenti l’un pour l’autre que de l’indifférence ou du mépris. Au moyen âge, l’humanité se partageait en deux classes, les hommes d’épée et les clercs ; d’une part, des chevaliers ignorans, ne sachant ni lire ni écrire, vivant dans leurs tristes châteaux-forts perchés comme des aires de vautours sur la pointe d’un rocher, et n’en sortant que pour guerroyer ou chasser au faucon, — et en face de cette chevalerie bardée de fer, des clercs, des moines lisant, écrivant, raisonnant dans l’ombre silencieuse des cloîtres… Mais un beau jour la clergie jette le froc aux orties, rompt son ban, se met à courir le monde ; elle arrive en Italie, un chevalier désœuvré qui s’ennuyait l’accueille, lui découvre du mérite, se lie d’amitié avec elle, se laisse instruire par ses leçons, et