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à sa poursuite. Le temps avait changé, un orage s’amassait du côté de la mer ; mais il semblait si lointain que j’espérais lui échapper. J’oubliais que dans le Latium les phénomènes atmosphériques ont quelque chose de brusque et de violent qui déroute tous les calculs ; dans ce ciel où Jupiter-Tonnant règne encore, il se fait des changemens à vue et des explosions subites dont l’imagination est saisie, et je ne doute pas que la fréquence de ces grands coups de théâtre n’ait contribué à faire des anciens Romains les plus superstitieux des hommes, car quel peuple fut si dévot au tonnerre ?

Nous cheminions le long des bords escarpés du lac d’Albe, à travers des bois de chênes et de châtaigniers ; d’un côté du sentier, sur les pentes du cratère, des rochers de basalte disparaissaient à moitié sous un fouillis de lierre, d’églantiers et de ronces pendantes ; à droite, un talus gazonné était émaillé de cyclamens auxquels se mêlaient des gueules-de-loup, des mélisses jaunes, des centaurées rouges, un thym d’une senteur exquise, et, fourvoyées parmi ces fleurs d’automne, une ou deux violettes que mon guide cueillit et me présenta d’un air de triomphe. Ce guide, nommé Scévola, était un admirateur passionné de Sixte-Quint ; il savait gré à ce grand justicier d’avoir débarrassé le pays de tous les prepolenti qui molestaient le pauvre peuple, et, en me débitant ses histoires de têtes coupées, ses petits yeux gris brillaient d’enthousiasme. Il avait aussi un faible pour Tullus Hostilius, et il m’apprit que ce grand roi avait vécu longtemps avant Sixte-Quint, et qu’il avait massacré tous les habitans d’Albe, parce que ces mécréans avaient la mauvaise habitude de passer au fil de l’épée tous les pères capucins qui leur tombaient entre les mains.

Pendant que Scévola me parlait de Sixte-Quint et de Tullus Hostilius, l’orage approchait rapidement. Au couchant, une masse compacte de vapeurs noires comme l’encre était sillonnée d’éclairs silencieux qui, pareils à des oiseaux de feu, déployaient d’un horizon à l’autre leurs ailes embrasées. Bientôt le bruit du tonnerre arriva jusqu’à nous ; ce n’était d’abord qu’un sourd grondement, puis une succession rapide de détonations sèches et saccadées. Le vent fraîchit ; après avoir remué les feuillages, il agita et entrechoqua les branches ; au bout de quelques minutes, les troncs ployaient et se tordaient sous ses étreintes convulsives. En même temps je vis se détacher de l’amas de vapeurs qui recouvrait la mer de gros nuages qui accouraient vers nous, poussés par un tourbillon furieux. Le tonnerre éclata sur nos têtes, et ses décharges se répétaient d’instant en instant. Des échos souterrains lui répondaient. Le sol volcanique que nous foulions sous nos pas est percé de mille crevasses, de mille fissures mystérieuses ; il sortait de tous ces soupiraux