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permettait point aux puissances qui portent intérêt à la Pologne d’épouser et de soutenir sa cause au nom du droit pur. Il s’agissait de réunir dans une protestation collective des gouvernemens de principes et de caractères divers. Il importait d’engager et pour ainsi dire de compromettre l’Europe dans la question polonaise, de faire de la question polonaise Une question européenne. Ce procédé a pu entraîner de cruelles lenteurs, mais il donne aux revendications polonaises une base plus large et plus durable. Il place les trois puissances qui ont la prétention de représenter et de conduire l’Europe dans la nécessité ou de reconstituer une Pologne ou de subir à la face du monde, si elles désertaient leur œuvre, la plus déshonorante confusion. Or, pour préparer et former cette action commune des trois puissances, il était indispensable de s’établir sur le terrain du droit écrit, de la légalité littérale, du traité de 1815. Ce terrain, aujourd’hui limité par les six points, est étroit sans doute, il est bien en arrière des justes aspirations de la Pologne, Il est fort éloigné du but qu’il faut atteindre. Cependant la France, l’Angleterre et l’Autriche y ont pris pied en même temps. La Pologne a ainsi trois avocats qui, ayant accepté sa cause, s’étant réunis pour la plaider ensemble, ne pourraient plus l’abandonner ou la perdre sans se couvrir de honte.

Les six points n’ont guère besoin de commentaires. Le premier demande l’amnistie complète et générale. Cette réclamation prend un caractère particulier de gravité en présence des horribles cruautés commises sur lest Polonais par les généraux russes à la face de l’Europe. Si la Russie n’accueillait point les propositions des puissances, si elle continuait, en défi d’elles, ses atroces persécutions, si elle déportait des évêques, pendait des prêtres, massacrait des prisonniers, outrageait des femmes, comprendrait-on que les gouvernemens de France, d’Angleterre et d’Autriche pussent endurer sans déshonneur un tel mépris des conseils et des vœux publiquement et solennellement exprimés par elles ? Serait-il également possible de se jouer d’elles en acceptant l’amnistie pour le royaume, mais en abandonnant la Lithuanie et les anciennes provinces polonaises aux fureurs de Mouravief et de ses tristes émules ? Le second point demande pour la Pologne une représentation nationale avec des pouvoirs semblables à ceux qui sont déterminés par la charte de 1815. Le troisième veut que les Polonais soient nommés aux fonctions publiques, que l’administration soit distincte et nationale, et de nature à inspirer confiance au pays. Les quatrième et cinquième points, qui réclament la liberté de conscience pleine et entière et l’usage exclusif de la langue polonaise comme langue officielle de l’administration de la justice et de l’enseignement, ne sont que des corollaires des conditions qui assureraient à la Pologne une représentation et une administration nationales. Le sixième point est plus important dans sa rédaction, effacée à dessein, qu’il ne paraît à des lecteurs superficiels. Il concerne l’armée et s’exprime en ces termes : « établissement d’un système de recrutement régulier et légal. » Si la Russie accepte les six points comme