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tion et les tortures ; il a écrit cette phrase magnifique, mais impitoyable : « Cette tunique de Nessus du ridicule, que le Juif, fils des pharisiens, traîne en lambeaux après lui depuis dix-huit siècles, c’est Jésus qui l’a tissée avec un artifice divin. » Et il semble, en l’en affublant ainsi, la lui donner à porter jusqu’à la fin du monde. Il ne veut pas même que le judaïsme ait l’honneur d’avoir produit Jésus : il en sort, dit-il, comme Rousseau du XVIIIe siècle ; mais où est donc l’ingrat qui ne ferait pas au XVIIIe siècle honneur de Rousseau ? Jérusalem a tué Jésus comme Athènes a tué Socrate ; mais Socrate n’en demeure pas moins un fils et une gloire d’Athènes. Ces grandes mémoires restent fidèles à leur patrie dans la mort comme dans la vie. Jésus d’ailleurs n’a pas rompu avec l’esprit juif ; mais l’esprit juif allait s’élargissant à mesure qu’il pénétrait la sagesse grecque et en était pénétré à son tour. Je tiens donc Jésus pour un Juif, et je ne crois pas en cela que je le diminue. C’est un grand peuple que celui qui a souffert perpétuellement l’oppression, sans jamais l’accepter. La nature humaine s’élève à souffrir ainsi. C’est cette oppression toujours pesante, mais aussi toujours secouée, qui rendait le Juif plus dévot à son Dieu, plus tendre et plus miséricordieux aux siens (c’est le mot même de Tacite), plus dur à lui-même, plus indomptable à la brutalité du puissant, plus dédaigneux des folles joies des heureux et de leurs vices :

Pour moi, que tu retiens parmi ces infidèles,
Tu sais combien je hais leurs fêtes criminelles,
Et que je mets au rang des profanations
Leurs tables, leurs festins et leurs libations.


La communauté juive était au milieu du monde comme Esther dans le sérail d’Assuérus, et dans ce farouche isolement elle s’emparait insensiblement de ceux qu’elle étonnait. Le monde, au temps d’Auguste, était imprégné de judaïsme, et déjà tout près d’être juif. Il n’était plus séparé que par la barrière des pratiques. Quand Paul rompit cette barrière, le monde fut conquis, et c’est là ce qui s’est appelé le christianisme, le judaïsme fait tout à tous, pour les gagner tous. Sur le judaïsme pur, je dirai tout en un mot, ne pouvant m’étendre : ce sont les Juifs qui ont appris au reste des hommes ces deux grandes choses, le martyre et la charité. Il n’en faut pas davantage pour démentir les haines et les dérisions d’une foule brutale et pour assurer de la part des sages à ces aînés des peuples un fidèle et pieux respect.


J’ai été long, trop long peut-être, car j’ai risqué de distraire mes lecteurs de l’intérêt dominant de mon sujet. En effet, la question de