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vrés ; ils disaient aussi que la foi est un esclavage, et ils se réjouissaient comme des captifs qui ont reconquis leur liberté. Ayant désappris les oremus que leur avait enseignés leur mère, ils ne tremblaient pas en songeant que leurs lèvres étaient mortes à la prière ; ils n’avaient plus rien à vous dire, ils ne sentaient plus le besoin de ces paroles ailées qui savent trouver le chemin du ciel. Ces rebelles portaient sur leur front l’orgueil de leur délivrance ; on les voyait agiter fièrement aux oreilles des passans les tronçons de leurs chaînes brisées. Ils s’appelaient Bruno, ils s’appelaient Vanini ; l’âme de Marins et des Gracques était en eux. Ils ne disaient plus comme les sages d’autrefois : Les dieux de l’Egypte et les sages de la Grèce ont annoncé le Christ. Gloire à l’Évangile éternel ! mais ils s’écriaient : Périsse l’Évangile ! périsse l’église ! Gloire à la nature, reine et déesse des mortels ! La nature seule est Dieu, ipsa natura quæ Deus est !…


V.

Plus d’une fois en entendant cette lecture, continua le baron, j’avais laissé échapper des marques d’étonnement. Il me semblait que pour un saint le prince s’exprimait fort librement sur les affaires de l’église. Quand il eut fini, je lui dis : — Prince, je vous prie de compter sur ma discrétion et de croire à ma reconnaissance. Monsignore Spinetta n’avait pas tout dit. Grâce à vous, ma curiosité est satisfaite ; j’ai pu mesurer dans toute leur étendue les souffrances de l’homme le plus infortuné qui fut jamais. Cependant je ne puis souscrire à tous vos jugemens sur les hommes et les choses du XVIe siècle. Et par exemple vous n’aimez pas les jésuites. Ce qui me donne à réfléchir, c’est qu’un certain moine de ma connaissance, fra Antonio, ne les aime pas non plus. Vous leur reprochez d’avoir asservi les esprits, il leur reproche de les avoir trop émancipés. Vous l’avouerai-je ? si j’étais jésuite, je me sentirais flatté d’avoir tant d’ennemis, et des ennemis qui se contredisent… — Il ne me répondit rien. — Il me semble aussi, repris-je, que vous avez expédié un peu lestement Martin Luther. Il ne m’appartient pas de le défendre ; mais je serais curieux de savoir ce qu’un luthérien vous répondrait… — Il garda encore le silence. — Enfin, lui dis-je, votre enthousiasme pour les philosophes de la renaissance me surprend. Ces Ficin, ces Pic de La Mirandole, dont vous louez la religion et que vous reconnaissez pour vos maîtres, je les avais toujours considérés comme des humanistes, à la fois beaux esprits et esprits forts, et, s’il faut tout dire, comme des