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naturaliste digne de ce nom n’achèterait un pareil résultat au prix de sacrifices encore plus grands?

Sans insister sur l’intérêt spécial qui s’attache aux découvertes de M. Bates, il est aisé de montrer par quelques exemples que les phénomènes dont il nous entretient parlent à l’imagination de tout homme, savant ou non, pour qui la nature n’est pas un livre absolument fermé. De plus, il y a dans ces souvenirs d’un voyage scientifique sous l’Equateur tout un ordre d’études, de remarques si l’on veut, qui sont celles d’un simple voyageur, et portent non sur telle espèce de singes, telle espèce de fourmis, tel sous-genre de lézards ou de scarabées, mais sur l’aspect général des lieux que le naturaliste a visités, le caractère, les idées, les mœurs des hommes civilisés ou sauvages avec lesquels il s’est trouvé en contact. Soit qu’il nous peigne son étonnement en face de cette nature tapageuse, assourdissante, de ce bruissement perpétuel que les cigales, les grillons, les sauterelles, les grenouilles d’arbre et de marais font retentir aux environs de Pará, soit qu’une fois entré sous la forêt primitive, il en dépeigne l’horreur secrète et silencieuse, il éveille des impressions, il parle à des sympathies que chacun de nous retrouve au fond de son cœur, et qui, pour ceux qui n’ont pas vécu sous le ciel des tropiques, semblent un ressouvenir de quelque existence antérieure. Écoutez plutôt cette page éloquente.


« Les livres de voyage nous parlent souvent du silence et de l’obscurité des forêts brésiliennes. Ce sont là des réalités dont l’impression devient plus profonde à mesure qu’on se familiarise avec elles. Sous ces arbres immenses, et qu’on croirait peuplés d’animaux innombrables, il n’y a ni mouvement ni bruits de vie : nous ne voyons pas le singe bondir d’une branche à l’autre, nous n’entendons pas ses glapissemens railleurs. Ni tapirs, ni jaguars ne traversent le sentier que nous suivons; les oiseaux aussi semblent être excessivement rares; çà et là, tout au plus, la note prolongée et plaintive que pousse l’espèce de perdrix nommée inambù, ou bien encore, dans les creux de terrain, au bord des ruisseaux, la voix bruyante d’un autre oiseau qui, marchant toujours par couples et ne quittant guère la cime des arbres, signale à son compagnon la route qu’il veut prendre. Un autre solitaire ailé chante, sur le ton le plus doux et le plus mélancolique, un air composé de quelques notes commençant très haut, et arrivant aux notes basses par dégradations harmoniques ; celui-ci est probablement une espèce de gazouilleur du genre trichas.


« Par le fait, ce furent là mes impressions premières, que j’ai dû modifier plus tard. Soit dans les forêts que j’explorais au début, soit dans celles qu’il m’a été donné de parcourir ensuite, il existe une fort grande variété