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exemple, il le demande sans scrupule, tantôt en pur don, tantôt à titre de prêt, et il n’est pas admis qu’on doive refuser le service ainsi réclamé. Aucune famille dès lors ne se sent poussée à faire effort pour s’enrichir, s’élever au-dessus du niveau commun, car il y a toujours un certain nombre de paresseux disposés à se prévaloir de cette bonne volonté du voisin pour vivre littéralement à ses dépens.

L’autre raison, qui touche de près, on va le voir, à un problème des plus curieux, c’est que les colons ne peuvent absolument compter, pour se procurer une nourriture animale, que sur les produits incertains et précaires de la chasse et de la pêche. Les jeunes et les robustes, capables de pêcher ou de chasser, ne sont pas nombreux. Le charpentier Raimondo par exemple, le compagnon de chasse de M. Bates, était réduit, comme presque tous ses pareils, à laisser là tous les quatre ou cinq jours sa besogne régulière pour consacrer soit une journée, soit une nuit tout entière, à se procurer un peu de poisson ou de gibier. Pourquoi dans de pareilles conditions ces malheureux ne s’avisent-ils pas qu’ils pourraient s’approvisionner régulièrement de viande en élevant du bétail, des moutons, des porcs, faciles à nourrir avec le produit de leurs cultures? M. Bates affirme que ceci tient à un vice fondamental, héréditairement transmis aux hommes de la génération actuelle par leurs ancêtres indiens. Les aborigènes du Brésil n’ont jamais connu la domestication des animaux, et telle est l’organisation inflexible du peau-rouge, — inflexibilité trop souvent communiquée aux métis chez lesquels se retrouve le sang indien, — que ni l’un, ni les autres ne semblent pouvoir adopter cette habitude, bien que se montrant à d’autres égards susceptibles de civilisation. Maintenant faut-il attribuer ceci à ce qu’il n’existe pas dans les pays sud-américains d’animaux qu’on puisse réduire à la domesticité? En d’autres termes, l’absence d’animaux domestiques est-elle un effet ou une cause des dispositions naturelles à l’homme sous ce climat particulier? Les deux thèses peuvent se soutenir avec une certaine vraisemblance. Nul doute, en effet, que la présence ou l’absence, dans un pays quelconque, d’animaux domesticables n’exerce une très grande influence sur le caractère et la culture des races qui l’habitent. Les Indiens de l’Amérique du Nord, plus particulièrement ceux de la Floride, offraient beaucoup d’analogies, soit par les dispositions naturelles, soit par la condition sociale, avec ceux de la région des Amazones, et ils étaient condamnés comme ceux-ci, — peut-être en vertu des mêmes causes, — à vivre des produits de la chasse ou de la pêche. Les Indiens du Pérou en revanche, dont le sol plus favorisé avait donné naissance au llama, s’étaient vus capables d’atteindre à un