Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amis de la cidade de vous indiquer un bon muletier ; ils vous. conduisent dans un faubourg de la cidade où les urubus semblent avoir fait élection de domicile, et où la catinga (odeur du nègre) saisit fortement l’odorat. Bientôt vous voyez arriver un mulâtre aux allures décidées, drapé dans son poncho (manteau-sac assez court). Cet homme, à l’entendre, connaît tout le Brésil. Sa figure bonasse et son aplomb inspirent la confiance, et vous êtes sur le point de traiter avec lui, lorsqu’un concurrent vient vous avertir que ce prétendu guide est un tropeiro assez mal famé, et qui a l’habitude de déserter son senhor au milieu du chemin avec la plus belle mule de l’équipage. Quand enfin vous avez trouvé votre cicérone, et que vous arrêtez le jour où il devra préparer les bêtes pour le départ, il vous répond gravement qu’il est guide et non tocador, que ce n’est pas à un homme libre d’avoir soin des burros (mulets), et que sa seigneurie doit lui donner un aide. Vous vous mettez de nouveau en quête, et si vous n’êtes pas sur vos gardes, vous tombez le plus souvent sur un esclave fugitif que la police vient vous réclamer au moment du départ.

Vous partez ; mais si vous n’avez pas eu la précaution d’acheter » des malles du pays, c’est-à-dire des canastras (coffres en bois recouverts d’une peau de bœuf), votre voyage devient encore impossible. La première fois que je chevauchai dans les serras du Brésil, je voyais le guide descendre tout à coup de sa monture, et, sous prétexte de rétablir l’économie de la charge détruite à chaque instant par les inégalités de la route et les faux pas des bêtes, serrer les courroies ; comme ces besoins d’équilibre se reproduisaient assez souvent, je commençai à craindre pour les flancs des mules, et je me hasardai à en faire l’observation. — Ne craignez rien, senhor, me répondit le tropeiro ; plus un burro est serré, plus il a le pied sûr. — A la première halte, je crus apercevoir comme des spires d’hélice dessinées sur le cuir de mes malles ; le lendemain, l’enveloppe avait cédé, et sans l’assistance d’un fazendeiro qui mit ses canastras à ma disposition, j’étais obligé de revenir sur mes pas après avoir laissé mes bagages en route.

Comme dans toutes les cités éloignées de leur centre politique, les habitans de Pernambuco ont été longtemps dominés par une idée fixe : se séparer de la métropole. Cette ville est en effet presque aussi distante de Rio-Janeiro que de Lisbonne. Avant que la vapeur eût permis d’établir des services réguliers, il s’écoulait quelquefois plusieurs mois sans qu’on eût des nouvelles de la capitale. Le pouvoir central ne se faisait guère sentir que pour prélever sa part des douanes, et les Pernamboucains faisaient à ce sujet les réflexions les plus amères. D’un autre côté, leur caractère aventureux