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les frappera qu’à demi ; s’il les enlève au catholicisme, ce sera pour les livrer aux mauvaises influences de nos jours. En face des dangers de la démocratie, toutes les conditions de la polémique sont changées de fond en comble; un chrétien qui jugerait l’église de Pascal et de Bossuet, comme Calvin et Luther parlaient de l’église d’Alexandre VI et de Léon X, recruterait des soldats, non pour le christianisme, mais pour l’immense armée des matérialistes et des athées. Ils ont bien compris la situation nouvelle, ces nobles esprits protestans qui, sur tous les points de l’Europe, tendent la main à leurs frères de bonne volonté par-dessus les barrières des églises. A l’époque où la philosophie hégélienne commençait à mettre en péril l’église protestante de Prusse, un philosophe catholique du midi de l’Allemagne, le savant et hardi Baader, adressa un mémoire au ministre de l’instruction publique à Berlin, M. d’Altenstein, pour lui signaler le danger : « Sauvez le protestantisme! » disait-il; et comme on pouvait s’étonner de sa sollicitude, il ajoutait : « Notre église a besoin de la vôtre. » C’était le même Baader qui écrivait à Varnhagen d’Ense le 25 mai 1824 : « Je me réjouis, comme catholique, d’avoir contribué à fortifier le protestantisme, qui est la grande chambre des communes de l’église universelle. » Bien des protestans aujourd’hui éprouvent le même sentiment vis-à-vis de l’église catholique. Sans s’arrêter à telle ou telle institution que leur conscience réprouve, ils savent que le catholicisme est un foyer de vie chrétienne, et ils sentent quel vide immense laisserait la disparition de ce foyer. Le vrai caractère de toute communion chrétienne, Alexandre Vinet l’a prouvé dans un de ses meilleurs discours, c’est de conduire l’homme au bien et de chasser les démons. Toute église qui chasse les démons possède l’esprit du Christ. En relisant ce beau sermon de Vinet sur la tolérance de l’Évangile, j’ai cru lire une réfutation de M. Rosseeuw Saint-Hilaire.

Je sais qu’on répondra : « Les hommes qui parlent de la sorte ne représentent pas l’orthodoxie officielle dans l’une ou l’autre église; ils appartiennent à cette classe de non satisfaits dont nous parlions tout à l’heure. » Je sais aussi qu’ils soulèvent contre eux les fanatiques de toute communion, sans compter ceux de l’incrédulité; mais qu’importe? ou plutôt n’est-ce pas le meilleur témoignage que puisse désirer une âme libre? Plus il y aura de ces mécontens inspirés de l’Évangile, plus on verra de nobles esprits sentir ce qui manque à leur église et y réclamer la vie, l’expansion, le besoin d’infini, qu’on a nommés la part de Dieu, plus aussi se dégageront les élémens de l’avenir. Ces voix qui s’élèvent de toutes les communions chrétiennes forment déjà une harmonie que le divin maître écoute avec complaisance; qui sait si cette assemblée invisible et dispersée sur toute la terre ne deviendra pas un jour, entre les mains de Dieu, le principe de l’unité supérieure que les hommes ont cherchée en vain dans le passé?

Il ne faut pas croire que les mécontens ou les non satisfaits dont je parle soient seulement des philosophes comme Baader ou des individualistes chrétiens comme Vinet; il y en a dans le sanctuaire même et dans la chaire évangélique, il y en a parmi les pasteurs et les évêques. On a publié récemment la vie d’un célèbre évêque de l’Allemagne du midi, M. de Wessenberg, qui montre ce que peut être l’action salutaire d’un prêtre mécontent de son église, c’est-à-dire aspirant toujours au bien et au mieux. Un