Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/798

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
SCENE VI.
(Le théâtre reste un instant vide et sombre. On entend le vent mugir par rafales et la pluie tomber à flots. La chouette crie sur les toits ; les girouettes grincent. La boite, qui est restée au milieu de la chambre, s’ouvre d’elle-même, et il en sort une quantité de jouets d’enfant, après quoi le spectre de maître Rossmayer, petit, grêle et incolore, sort à son tour et se met à errer légèrement, quoique courbé et cassé par l’âge. Il est vêtu d’une chemise poudreuse, d’une culotte grise râpée et d’un vieux tablier de cuir. Une petite queue mince sort de son bonnet et s’agite singulièrement. Sa voix chevrotante ressemble à celle d’un perroquet, et crie plus qu’elle ne parle.)
LE SPECTRE.

Paix! silence! tais-toi, vieille chouette! (La chouette se tait.) Monsieur le vent et madame la pluie, c’est bien, bien travaillé, très bien; mais ne menez pas si grand bruit. (Le vent s’apaise.) On est chez soi, que diable! on veut s’entendre causer. (Les girouettes crient plus doucement.) Bon, amusez-vous avec les girouettes, esprits de la nuit ! on les a mises là-haut pour vous. Et vous, esprits du foyer, amusez-vous aussi, trémoussez-vous! C’est la nuit de Noël, où vous donnez le bal dans la maison des bonnes gens. La fête commence, allons! (Silence complet.) Eh bien? Ah! je comprends, vous n’osez pas vous y mettre avant l’heure? Mais il faut commencer pourtant pour que le prodige s’accomplisse! Allons, pendule, allons, ma fille, prête-nous minuit pour un instant. Tu n’as pas besoin de ton mouvement pour ça; l’habitude!... (La pendule vide fait apparaître un cadran; elle sonne et marque minuit.) Très bien, très bien! Allons, vieux poêle! éclaire donc tes invités! (Le poêle s’ouvre et répand une lueur rouge qui éclaire la chambre.) Chantez, cri-cris! Craquez, vieux meubles! détendez vos jointures tout à votre aise! trottez, souris, criez... Et vous autres, petits messieurs, petites dames, petits chevaux, petits ouvriers, qu’est-ce que vous faites là?... (Les jouets s’agitent.) Oh! mais, en mesure, donc! (Il prend à la muraille le vieux violon, dont il tire des sons aigres et discordans. Sabbat. Tous les jouets se mettent à agir : les petits moulins tournent, les petits ouvriers travaillent, les roquets aboient, les voitures marchent, les cavaliers galopent, les dames dansent, une nuée de souris trotte autour du spectre, qui dirige leurs ébats en marquant du pied les figures. Le vent et la pluie font rage au dehors. Le poêle ronfle prodigieusement ; la chouette, les cri-cris, les girouettes, le timbre, la cloche de la rue, qui a retrouvé la voix, font un vacarme étrange, et le spectre saute aussi d’une façon désordonnée, comme s’il voulait s’envoler, et comme s’il allait se casser.) Assez ! (Tout se tait brusquement.) J’entends venir la bonne Nanni, ma protégée; elle cherche quelque chose qu’elle ne peut trouver dans la maison et qu’il s’agit de lui donner! Allons, bûche de Noël, on t’a fait de la musique, on t’a mise en belle humeur; il s’agit de nous donner une branche verte sans cesser de brûler. Vite, vite, grosse bûche! pousse un peu, verdis et donne. Allons, courage! (une longue branche verte sort de la bûche enflammée.) Voilà qui est bien! merci, bonne bûche! Tes cendres iront sur le pré, et tu revivras en beau foin plein de fleurs! Cache-toi, pendule, ma mie! (Le cadran disparaît; le poêle se referme, on n’entend plus que de faibles bruits.) Silcnce par là dans les coins! ces souris n’en ont jamais assez, de la danse ! (Remettant le violon à la muraille.) N’effrayez plus Nanni, je vous le défends! (Il rentre dans la boîte, qui disparaît avec lui et qui reparaît aussitôt sous l’escalier d’où Max l’avait tirée.)