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bloc on bloc, à marcher dans la neige fondante jusqu’à l’endroit où ils avaient quitté les chevaux, remontent le flanc méridional de la montagne au pied de laquelle les rennes étaient enfouis dans la neige, de telle façon que la tête, les bois et l’échine étaient seuls visibles : on comprend que des animaux qui s’enterrent dans la neige pendant l’été supportent parfaitement les froids les plus intenses de l’hiver norvégien. Ils se trouvaient si bien qu’ils négligeaient leurs précautions ordinaires. M. Berna tire et manque : les rennes se dégagent de la neige et se mettent à fuir en courant au petit trot, sans témoigner la moindre frayeur. Ce trot modéré des reines, s’éloignant majestueusement sur la glace, parut une insulte aux chasseurs. M. Berna se reprochait d’avoir tiré de trop loin, lorsque le Norvégien Erick, en promenant ses regards autour de lui, aperçut un point gris qu’il déclara n’être autre chose qu’un renne étranger au troupeau précédent. Rampant le long d’un torrent desséché, les chasseurs arrivèrent à portée de carabine du renne isolé ; il tint bon, un coup de fusil à balle le fit tomber sur ses genoux, et un second coup chargé aplomb l’acheva ; c’était une vieille femelle dont le bois commençait à poindre. Les Norvégiens dépouillèrent l’animal, l’enveloppèrent dans sa peau et le cachèrent sous des pierres, afin de venir le chercher avec un cheval. Il était tard, mais grâce au jour perpétuel les chasseurs arrivèrent à Jerkind après minuit, sans hésiter sur la direction qu’ils devaient suivre. Le crépuscule et l’aurore confondus à l’horizon éclairaient leur marche.

Une journée de repos était nécessaire ; mais le lendemain la caravane se remit en route et arriva deux jours après à Drontheim, l’ancienne capitale de la Norvège. Nous ne nous y arrêterons pas avec eux : cette jolie ville a été souvent décrite, et le lecteur doit être impatient de suivre l’expédition dans le nord de la Norvège, que nous connaissons sous le nom de Laponie, tandis que dans le pays il prend le nom de Finmark. Le navire s’était trouvé au rendez-vous. Après être sorti du fiord de Drontheim, il contourna l’archipel de Loflbden, célèbre par ses pêcheries de morue. C’est là que le Joachim-Hinrich coupa le cercle polaire, et les voyageurs aperçurent pour la première fois, le 5 juillet, le soleil de minuit : moment solennel pour les touristes dont l’imagination a longtemps caressé le rêve d’un voyage dans les contrées boréales ! À neuf heures du soir, l’astre est si près de l’horizon que dans nos latitudes moyennes il serait couché en moins d’une demi-heure ; mais, au lieu de plonger dans l’Océan, il semble glisser à sa surface, que son disque effleure à minuit, pour se relever peu à peu à mesure que l’aiguille marque sur le cadran les heures du matin. Pendant que le soleil rase l’horizon, le ciel se teint des couleurs les plus vives et les plus variées, surtout quand il est nuageux, et la lenteur avec laquelle l’astre se