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cessait d’être favorable à la France. Quinze années d’une prospérité sans exemple dans nos annales commençaient à réveiller la jalousie de nos voisins. On savait au dehors juger à sa valeur une politique trop méconnue chez nous par l’esprit de parti, et dont la prudente fermeté, dès le début difficile d’un nouveau règne, au lendemain d’une révolution, avait conduit nos drapeaux en Belgique et à Ancône et fait flotter glorieusement notre pavillon sur les mers. A l’embouchure du Tage, à Ulloa, à Mogador, la France, assez sage pour ne donner à personne de griefs fondés, avait été assez résolue pour ne pas s’arrêter devant d’inquiètes susceptibilités. En même temps l’Algérie développait ses ressources et voyait notre armée, sous la conduite de princes jeunes, brillans et pleins d’ardeur, se préparer aux luttes qu’elle devait un jour soutenir ailleurs avec tant d’éclat. Dès 1840, l’Angleterre avait pris dans la question d’Orient une attitude d’où sortit pour la France un échec qu’à Londres on put regarder alors comme un succès, sans que l’avenir ait justifié cette croyance. Il a fallu, pour changer les dispositions de l’Angleterre à notre égard, une révolution, bien des malheurs et bien des expiations. Les lettres du premier comte de Malmesbury nous montrent, à soixante-dix ans en arrière, un spectacle fort différent de celui dont nous avons été dernièrement les témoins. Alors, aux yeux du cabinet anglais et de son ministre à Pétersbourg, c’était la France qui était l’ennemie marquée par le destin et la Russie l’alliée naturelle. La jalousie et les divisions des deux puissances maritimes de l’Occident ouvraient l’Orient à l’ambition de Catherine : le cabinet de Versailles devenait impuissant à protéger le sultan, et le cabinet de Saint-James ne voyait dans l’amoindrissement de la Porte que l’affaiblissement de l’influence française à Constantinople. Singulière destinée des choses de ce monde! La Crimée où, soixante-dix ans après sa conquête, les armes unies de la France et de l’Angleterre devaient combattre la Russie, était alors livrée à Catherine par leur rivalité! Qui pourrait se défendre ici d’autres rapprochemens non moins bizarres et non moins instructifs? Parmi les possessions de la Russie, il en est deux surtout que menacerait une nouvelle alliance entre la France et l’Angleterre : la Pologne, que la Russie doit autant aux différends et aux jalousies de la France et de l’Angleterre qu’à la complicité de l’Autriche et de la Prusse: la Finlande, que Napoléon abandonnait à Alexandre, par les stipulations secrètes de Tilsitt, dans le double dessein d’attacher un nouvel allié et de punir la Suède de son union momentanée avec l’Angleterre! Du moins que ces grandes leçons ne soient pas perdues. Avertis par de telles vicissitudes, gardons-nous des hostilités systématiques et des entraînemens irréfléchis; gardons-nous de disposer