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s’ajourna jusqu’au mois de février, et remit tous ses pouvoirs aux mains d’environ vingt-quatre personnes. Ces délégués se réunissent trois fois par semaine, tantôt chez le primat, tantôt chez le prince Repnin, afin de discuter, ou, pour mieux dire, afin d’adopter ce que l’ambassadeur propose. Le sort des deux évêques agit si fortement sur les esprits que nul ne songe à faire opposition, pas même à risquer une objection; il n’y a d’égale à l’autorité avec laquelle le prince donne ses ordres que l’autorité avec laquelle ils sont suivis. Telle est la condition où sont réduites les libertés de cette fameuse république.

« On entend sur tout cela divers langages. Les vrais et loyaux patriotes polonais disent que c’est le coup de grâce de la liberté, qu’ils sont devenus les vassaux de la Russie. D’autres, moins zélés et peut-être plus raisonnables, disent que la chose ne se pouvait éviter. « Que pouvions-nous faire contre une armée de trente mille hommes? Au lieu d’améliorer la situation, nous aurions entraîné la république à sa ruine. Si nous avions été en état de vaincre. nous aurions bien fait de nous battre ; mais, désarmés comme nous sommes et étant obliges de céder, pourquoi ne pas céder de bonne grâce? » Ces héros répondent à ceux qui se plaignent du peu de respect témoigné pour les brefs présentés par les nonces du pape : Que veut-on que nous fassions avec un morceau de papier contre trente mille hérétiques bien armés et bien disciplinés? Enfin un troisième parti, dont est la cour par nécessité, appelle la mesure une mesure de salut, et soutient que les Russes doivent être regardés non comme des oppresseurs, mais comme des protecteurs dont l’intervention seule a pu empêcher la guerre civile.

« Le frère du roi m’a dit : «Pourquoi s’obstine-t-on à voir une querelle religieuse là où il n’y a que de la politique? Les gens malintentionnés s’y prennent ainsi pour nous rendre odieux et soulever la populace. » Il est cependant évident que ce n’était là qu’une façon de parler, tout s’accordant pour prouver le contraire. Je n’ai pu m’empêcher d’être très frappé d’une visite que j’ai faite au nonce du pape, homme d’un grand talent et d’une grande vivacité, que le mauvais accueil qu’il a reçu ici et l’inutilité de ses efforts éloignent de la société. Aussitôt notre entrée il commença : « Pourquoi la cour est-elle irritée contre moi? Ai-je fait autre chose que mon devoir? J’avais ordre de présenter les brefs; je l’ai fait, mais rien de plus; je n’ai point essayé d’exciter une révolte. Je n’ai, dans ce pays, à m’occuper que de la religion; je ne me suis jamais mêlé de ses affaires politiques. Je dois soutenir l’une et m’abstenir des autres. Je prévois cependant de grands changemens. La religion est ébranlée jusqu’à sa base, et bientôt ni moi ni mes frères nous ne trouverons ici un sanctuaire. »

« Tout cela n’était qu’un vain langage, mais c’était bien celui d’un Italien. Il avait fait tout ce qui avait dépendu de lui pour exciter les esprits. « Soyez sur vos gardes, disait-il en présentant les brefs; défendez vos anciennes lois fondamentales; le bras de la tyrannie est levé sur vous, mais le bras du Seigneur vous défendra. » Je puis dire ici que les évêques n’auraient pas été arrêtés, ou que la Russie se serait mis tout le corps diplomatique à dos, s’ils avaient cherché refuge dans la maison du nonce; mais ces prélats étaient de trop grands patriotes pour cela. Cependant ils