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Cette chose étendue se meut, c’est-à-dire qu’elle se déplace dans l’espace : elle se distingue donc de l’espace qui la contient. Or c’est ici précisément que le matérialisme a toujours été très embarrassé, car comment distinguer cette particule étendue de la particule d’espace à laquelle elle correspond, et qu’elle remplit? L’imagination, qui prend ici la place de l’entendement, nous représente bien une espèce de grain de poussière flottant dans l’air. C’est ainsi que les atomes d’Épicure flottaient dans le vide. Mais commencez par dégager ce grain de poussière de tout ce que la vue ou les autres sens nous en font connaître, réduisez-le à l’étendue et à la force, n’oubliez pas que la force est une propriété de la matière, et par conséquent de l’étendue, et dites-vous que cet atome, considéré en soi, n’est pas autre chose qu’une portion d’étendue. Il n’a donc aucun caractère par lequel il puisse se distinguer de la portion d’espace correspondante qu’il est censé habiter. Ne dites pas qu’il s’en distingue par la force qui l’anime, car alors ce serait la force qui constituerait la matière; la matière se perdrait dans la force, ce qui est le contraire de votre système et l’abandon du principe matérialiste. Si au contraire vous admettez une matière essentiellement étendue, vous la confondrez, comme Descartes, avec l’espace, et alors essayez de comprendre le mouvement, la figure, la diversité, dans cet espace infini, homogène et plein !

Mais une telle discussion est d’une nature trop abstraite et trop délicate pour être prolongée longtemps. J’en ai dit assez pour établir que le nouveau matérialisme allemand a montré dès son début une assez grande ignorance des questions en posant comme principe la coexistence de la force et de la matière sans donner aucune définition ni de l’une ni de l’autre, et sans montrer par quels liens elles s’unissent. L’insuffisance démontrée du principe se manifeste dans toutes les conséquences qu’on en a pu tirer. Deux exemples nous suffiront pour le prouver : ce sont les idées des matérialistes sur le principe de la vie et le principe de la pensée.


IV.

L’un des problèmes les plus obscurs de la science humaine, et devant lequel une philosophie circonspecte aimera toujours à garder le silence plutôt que de proposer des hypothèses si difficiles à vérifier, est le problème de l’origine de la vie sur le globe terrestre. S’il y a une vérité démontrée en géologie, c’est que la vie n’a pas toujours existé sur notre terre, et qu’elle y est apparue à un jour donné, sans doute sous la forme la plus élémentaire, car tout porte à croire que la nature, dans son développement, suit la loi de la