Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/927

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tée aux monnoies, contribueroit infiniment à la multiplication des espèces... » Louvois consentait d’ailleurs que les églises conservassent les calices, patènes, soleils, ciboires, burettes, châsses et reliquaires; mais il était d’avis de ne laisser qu’à un très petit nombre les tabernacles, lampes, encensoirs et ornemens d’autel d’or ou d’argent. Quant aux chapelles des hôpitaux, « lesquels, disait-il, sont si endettés, il serait d’un bon exemple, indépendamment du bien public, de leur voir vendre ce qu’ils en ont pour satisfaire leurs créanciers[1]. » Cette dernière considération était seule de quelque valeur. Inutile au point de vue de l’intérêt public, — car l’état n’y gagnait qu’un droit de seigneuriage insignifiant, et il importait fort peu au fond que la quantité des monnaies circulant dans le royaume s’accrût de quelques millions de livres, — la mesure conseillée par Louvois priva, elle aussi, la France d’une multitude d’objets qui, si l’on en juge par les pièces conservées dans quelques musées, auraient aujourd’hui un prix inestimable.

On se figure les doléances qui durent éclater à la nouvelle que toutes les églises allaient être dépouillées de leurs plus précieux ornemens; mais celui qui, sans respect pour les droits sacrés de la conscience, faisait poursuivre les protestans comme des criminels, prenait leurs biens, leurs enfans, et ne voulait leur permettre ni de vivre en France avec leur foi, ni de s’expatrier, croyait sans doute avoir donné assez de gages à la religion pour ne pas s’inquiéter des réclamations de quelques évêques. Ce nouvel acte de vandalisme s’accomplit donc. Veut-on se faire une idée de la résistance que rencontra la mesure, on n’a qu’à lire ce qu’écrivait Pontchartrain, dix-sept mois après (le 12 juin 1691), aux évêques d’Orléans, de Luçon, de Senlis et de Beauvais : « Le roi s’étant fait représenter l’état de l’argenterie des églises qui a été portée aux hôtels des monnoies pour y être convertie en nouvelles espèces, en suite de la lettre de cachet de sa majesté qui a été adressée l’année dernière à MM. les archevêques et évêques du royaume, il a été surpris de voir que jusqu’à présent il n’en a pas été porté un seul marc des églises de votre diocèse, et m’a recommandé de vous en donner avis[2]… »

Qu’aurait dit Colbert, lui dont l’initiative puissante avait doté la France de tant de chefs-d’œuvre en tout genre, et qui voulait que Paris possédât tout ce qui existait de plus beau en objets d’art, s’il avait vu le roi prescrire de telles mesures? Tandis qu’à sa mort la dette constituée de l’état ne s’élevait, nous l’avons dit, qu’à 8 millions et la dette flottante à 38, huit ans après, l’administration omnipotente de Louvois avait amené cette situation déplorable, et réduit les finances du royaume aux plus tristes extrémités.

  1. Œuvres de Louis XIV, t. VI; pièces historiques, n° 12.
  2. Archives de l’empire. Registre des secrétaires d’état, 1691.