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bonheur d’un pays, les disciples de Quesnay réclamaient la libre exportation des grains à l’étranger. Un arrêt de 1764 leur donna une apparente satisfaction : mais les économistes avaient oublié qu’une ancienne loi, remontant à Charles IX, attribuait au roi le droit de vendre, la permission d’exporter. On fit revivre cette loi. Le 12 juillet 1765 fut signé par le ministre Laverdy un bail d(î douze ans, conférant le droit exclusif d’exporter des blés à une compagnie représentée, suivant l’usage, par quatre noms obscurs : l’inventeur de la mouture économique, Simon-Pierre Malisset, auquel on attribuait ce titre tout nouveau, « chargé de la manutention des blés du roi ; » Le Ray de Chaumont, ancien négociant en grains, devenu grand-maître des eaux et forêts ; Pierre Rousseau, receveur du domaine à Blois, et Bernard Perruchot, régisseur-général des hospices, les trois derniers se portant cautions dudit Malisset.

Dans les compagnies de ce genre sous l’ancien régime, des traitans connus par leur habileté ou leur opulence formaient un conseil de direction sans être en nom ; les grands seigneurs ou de grands capitalistes versaient des fonds dans l’entreprise, et on leur réservait assez arbitrairement des parts de bénéfices ; puis on prenait en croupe une foule d’individus, courtisans, maîtresses, aventuriers, serviteurs invalides, tous gens protégés et imposés d’autorité, qui avaient part au gâteau sans mise de fonds et sans travail. Chacun des fermiers-généraux avait ainsi en croupe un certain nombre de pensionnaires à servir[1]. On n’a pas beaucoup de détails sur l’organisation financière du pacte de famine. Louis XV y ayant versé 10 millions, il est probable qu’il entraîna beaucoup de personnages importans, et que le capital recueilli fut considérable. Tous les Du Barry, Terrai et son âme damnée Foulon, Berthier de Sauvigny, le gendre de celui-ci, le duc de La Vrillière, le trésorier Bertin, les Sartines, les Lenoir, chargés spécialement de la police, nombre de gens de cour ou de flibustiers, de grandes dames ou de déesses d’opéra, étaient de la bande. À quel titre ? comme commanditaires ou comme croupiers ? Voilà ce qu’on ne saurait dire. Quant à Malisset, on lui avait attribué des allocations proportionnelles à la mouture et à certaines manipulations, plus un intérêt dans les bénéfices. J’ignore comment il a fini, mais il a été en passe de réaliser des trésors.

Comme le bail de la société conférait un privilège d’exportation, le plan primitif était d’acheter les blés au plus bas prix, de les envoyer à l’étranger et de les rapporter (l’importation étant toujours

  1. Dans un bail des fermes de cette époque que j’ai sous les yeux, et qui devait rapporter aux fermiers 6 millions net par an, le montant des croupes s’élève à 1,980,000 fr.