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railleries brutales dont il accable ses médecins si unanimes dans leur stupidité. Je lui propose un remède qu’il accepte avec reconnaissance. Un serviteur de confiance m’accompagne à mon départ, et doit le lui rapporter immédiatement.

«... Vous croyez peut-être que le remède a été pris? Pas le moins du monde. Les hakims l’ont dénoncé comme une composition vineuse et par conséquent prohibée, « peut-être un poison, » disaient quelques-uns. Conséquences : le pied est redevenu douloureux, un mouvement fébrile se manifeste, accompagné d’un état cérébral inquiétant. Je déclare qu’une saignée est nécessaire, et je me mets en devoir de faire les ligatures préalables. Les hakims m’arrêtent, non qu’ils contestent l’utilité de la saignée, mais pour délibérer entre eux si on se servira d’une lancette fabriquée dans le pays, ou s’il sera permis d’ouvrir la veine du sardar avec un outil fabriqué par des mains infidèles...

«... Depuis que les daks (courriers) de Peshawur ont apporté la nouvelle de l’insurrection des cipayes, notre position est devenue fort critique. Nous sommes à la merci des caprices de l’émir et de l’héritier présomptif. Un des principaux chefs, Sarfarat-Khan, avait dès les premiers jours organisé un plan d’attaque contre la citadelle, afin de s’emparer de nous et de nous mettre ensuite à rançon, quitte à gagner au moins le paradis, si, la rançon refusée, il était réduit à nous tuer comme « infidèles. » Les achats de plomb qu’il faisait de tous côtés ont éveillé l’attention, et, se voyant deviné, il a pris la fuite du côté d’Hérat. Un détachement de cavalerie lancé sur ses traces n’a pu l’atteindre.

« Quelques jours après, un certain nombre de mullahs (prêtres), se faisant les organes du parti religieux, sont venus demander au sardar, en audience solennelle, que les officiers de la mission anglaise leur fussent livrés, ou tout au moins chassés de la cour et bannis du pays que souillait leur présence. Le sardar, en accédant à leurs vœux, se montrerait, disaient-ils, un croyant fidèle, le champion de l’islam, et mériterait l’estime, la confiance de ses sujets. La réponse du prince a été que nous étions sans doute hérétiques, mais néanmoins ahl-i-kotab, c’est-à-dire « hommes du livre, » et par là considérables, de plus fidèles alliés de l’émir contre les Persans, et qu’il était décidé à nous protéger contre toute fâcheuse intervention; puis il les a renvoyés en les menaçant d’un châtiment sévère, s’ils excitaient à notre sujet le moindre trouble dans la cité. Tant de fermeté nous a surpris agréablement.

«... Des fusillades, des mousqueteries sans fin nous ont réveillés en sursaut. Nous avons appris avec étonnement que le sardar, à peine remis de son attaque de goutte, allait contracter mariage. On jase par la ville de cet hymen, regardé comme une injustice. Un riche marchand de la cité, veuf et père d’une fille de neuf ans, est décédé il y a huit ou dix jours, laissant cette enfant pour unique héritière de ses biens, lesquels consistaient en un trésor de 15,000 roupies, huit charrues de terres évaluées à 600 roupies, quatre moulins avec leur cheptel en chevaux, bétail, approvisionnemens, etc. A peine son décès rendu public, sept ou huit soldats de l’héritier présomptif, sous prétexte qu’ils appartenaient, comme le défunt, à la tribu Tarin, et