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individu se trouve accidentellement coloré en noir, celui-là aura un avantage sur ses compatriotes : il vivra, si vous voulez, plus longtemps. Mais le voilà qui se marie. Qui pourra-t-il épouser ? Une blanche sans contredit, la couleur noire étant accidentelle. L’enfant qui résultera de cette union sera-t-il noir ? Non sans doute, mais mulâtre ; l’enfant de celui-ci sera d’un teint encore moins foncé, et en quelques générations la teinte accidentelle du premier aura disparu et se sera fondue dans les caractères généraux de l’espèce. Ainsi, en admettant même que la couleur noire eût été un avantage, elle n’aurait jamais le temps de se perpétuer assez pour former une variété nouvelle plus appropriée au climat, et qui par là même l’emporterait sur les blancs dans la concurrence vitale.

Si l’on avait des doutes sur la valeur de l’argument que je propose ici contre la portée du principe de M. Darwin, j’invoquerais l’autorité d’un autre naturaliste, M. de Quatrefages, très favorable cependant à ce principe. Il cite plusieurs individus de l’espèce humaine qui se sont trouvés doués accidentellement de caractères exceptionnels, et il veut expliquer pourquoi ces individus n’ont pas donné naissance à des variétés nouvelles. « Aucun Lambert, dit ce naturaliste, aucun Colburn (ce sont les noms de ces individus anormaux) ne s’est allié avec un autre individu présentant la même anomalie que lui. La sélection tendait ici à effacer l’activité surabondante et tératologique de la peau, le nombre exagéré des doigts. À chaque génération, l’influence du fait anormal primitif diminuait forcément par le mélange du sang normal : elle a dû finir par disparaître promptement. » Plus loin, il explique, par l’absence de sélection artificielle, l’uniformité relative des groupes humains, comparés aux animaux domestiques. Ne suit-il pas de là que la sélection naturelle est insuffisante pour faire varier les espèces par cette raison capitale sur laquelle j’ai tant insisté, à savoir que les divers individus des deux sexes accidentellement atteints du même caractère ne pourront pas se rencontrer ?

Ce n’est pas que je conteste le principe de l’élection naturelle et le principe de la concurrence vitale. Ce sont deux lois très vraies, mais qui me paraissent devoir agir dans un sens tout différent de celui qu’on nous annonce, et beaucoup plus dans le sens de la conservation de l’espèce que dans le sens de la modification. En effet, le genre de vie d’un animal dépendant toujours de sa structure (que l’on admette les causes finales ou non), il est évident que, dans une espèce, les mieux avantagés sont ceux dont l’organisation est la plus conforme au type de l’espèce. Dans les carnivores par exemple, celui-là aura l’avantage qui aura de bonnes griffes, de fortes dents, des muscles souples et vigoureux. Que si vous suppo-