Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/875

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

familles de ces derniers se fixer définitivement sur un sol qui leur est en somme plus hospitalier que le leur. Peu à peu, ce noyau grossissant, toute existence oisive au sein d’une population ainsi accrue deviendra impossible, et le nègre se verra ainsi forcément, mais naturellement, ramené au travail. En d’autres termes, la véritable plaie des Antilles, tant françaises qu’étrangères, est le manque d’habitans, et cela est si vrai que la seule de ces îles où la liberté des nègres n’ait changé ni la production sucrière, ni les conditions du travail, a été la petite colonie anglaise de la Barbade, dont la population a presque atteint une densité européenne (240 personnes par kilomètre carré). Partout ailleurs les Anglais, qui nous avaient précédés dans la voie de l’émancipation, ont vu comme nous, et même plus que nous, les noirs déserter les habitations pour vivre de vagabondage ; la Guyane et la Trinité se sont seules relevées parce qu’elles sont entrées les premières dans la voie de l’émigration. Un trait de mœurs curieux fut de voir l’opposition soulevée en Angleterre par cette mesure chez le puissant parti des abolitionistes. Son principal argument était l’injustice et l’inhumanité qu’il y avait à susciter une concurrence au travail nègre. En vain le parti adverse cherchait-il à faire comprendre à ces négrophiles trop enthousiastes qu’ils dépassaient le but, que le sort des noirs serait encore matériellement préférable à celui de bien des ouvriers en Angleterre, que l’intérêt des planteurs d’ailleurs méritait aussi d’entrer en ligne de compte : les meetings ne s’en succédaient qu’avec plus d’acharnement à Exeter-Hall, et l’on vit le parlement lui-même saisi par M. Buxton, au nom des abolitionistes, d’une motion ne tendant à rien moins qu’à suspendre toute introduction d’émigrans. Ce n’était pas assez que le nègre fût libre dans la pleine acception du mot, on voulait de plus qu’il fût libre de ne rien faire. Cette ridicule opposition ne s’est point manifestée chez nous, mais il s’en faut néanmoins que le dernier mot soit dit sur une émigration où l’on s’est borné à substituer purement et simplement le coulie à l’esclave.

Que dire de la position religieuse des émigrans de nos colonies ? Nous avons là des sectateurs de Confucius, des enfans de Bouddha, des affiliés du vaudoux ; nous avons aussi en Chine, dans l’Inde et en Afrique, on le sait, des missionnaires parfois trop ardens à la conversion des infidèles. Eh bien ! aux Antilles, non-seulement le clergé ne cherche en aucune façon à catéchiser des prosélytes qui s’offrent aussi naturellement à lui, mais il semble, qui plus est, éviter de soulever cette question, et le silence est si complet à cet égard que l’on est tout étonné de voir le contrat d’engagement des Indiens leur accorder, à la fin de l’année, quatre jours de congé pour célébrer la fête du Pongol. Pourquoi ce mépris inusité d’un levier dont la puissance