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me dis-tu, cours vite aux Saintes-Maries ;… tu auras vite du soulagement… Ah ! cher Vincent, que ne peux-tu voir dans mon cœur ! mon amour est une source qui déborde ;… délices de toute sorte, grâces, bonheurs, j’en ai en surcroît… — Elle est morte… ne voyez-vous pas qu’elle est morte ? s’écria Vincent, et avec toi le trône de ma vie est tombé… Bons Saintins, je me confie en vous… pour un deuil pareil, ce n’est pas assez que les pleurs :… creusez-nous dans l’arène pour tous deux un seul berceau ;… élevez un tas de pierres, afin que l’onde ne puisse jamais nous séparer… — Et hors de lui le vannier vint éperdument se jeter sur le corps de Mireille, et l’infortuné serra la morte dans ses embrassemens frénétiques… Le cantique là-bas, dans les vieilles églises, se fait entendre… »

Il est inutile maintenant que nous donnions une analyse du libretto de M. Michel Carré, dont les personnages et les principales scènes sont tirés du poème ; c’est pourquoi nous allons aborder la musique de M. Gounod, qui est la partie de l’œuvre qu’il nous importe le plus d’apprécier. Il y a une ouverture qui n’est pas un chef-d’œuvre, bien que le compositeur ait essayé de se pénétrer de la poésie de son sujet. Le rideau se lève, et un chœur de femmes chante le plaisir de la cueillette, scène agréable dans le poème ; mais le motif de M. Gounod est d’une vulgarité fâcheuse, ainsi que le récit de la sorcière Taven. L’entrée de Mireille nous prouve que cette figure idéale est complètement défigurée par le pinceau gris de M. Gounod. J’engage les amateurs de la bonne musique, qui ne sont pas inféodés à l’auteur de la Reine de Saba, à parcourir la partition que nous avons sous les yeux ; ils y verront des phrases boiteuses, laides, tourmentées, écrites avec une prétention au style qui double l’ennui. Le duo entre Mireille et Vincent, qui dans le poème est une situation presque digne de Théocrite, n’a que la grâce vulgaire d’un nocturne. Je ne connais rien de plus commun et de plus prosaïque que la phrase par laquelle M. Gounod traduit ce dialogue charmant : « Ainsi tu me trouves gentille plus que ta sœur ? — Beaucoup plus ! répond Vincent. — Et qu’ai-je de plus ? — Mère divine ! et qu’a le chardonneret de plus que le troglodyte, sinon la beauté même, le chant et la grâce ? »

Le second acte s’ouvre par la farandole, fête qui se donne dans l’enceinte des arènes d’Arles. On chante, on boit, on rit, et le chœur à trois voix est d’un bon effet. Il y a dans l’accompagnement de cette introduction de jolis détails d’instrumentation. De la chanson du Magali, qui est une petite merveille dans le poème, où un seul personnage la chante, M. Gounod a fait presque un duo entre Mireille et Vincent, soutenus par le chœur. La phrase qui accompagne ces paroles : — l’oiseau s’endort sous la ramée, — est du plain-chant et non pas de la musique, et on chercherait vainement dans cette longue complainte un rayon de lumière qui indique le pays béni où se passe l’action. Une autre chanson, celle de la magicienne, n’est pas plus originale que le Magali : c’est une mélopée en style syllabique qui serait