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d’application, on obtient un total de six cents jeunes gens que ces institutions versent annuellement dans l’industrie. Maintenant si l’on estime à douze cent mille le nombre des personnes engagées dans ces carrières, cet état-major à divers degrés représente un deux-millième de la population de nos usines. En admettant que la durée moyenne des services soit de vingt-cinq ans, pour les uns comme pour les autres, on arrive à cette conséquence qu’il y aurait un homme instruit sur quatre-vingts, c’est-à-dire un groupe de caporaux et un très petit nombre de capitaines. Du rapprochement de ces chiffres MM. Morin et Tresca concluent qu’il y a une insuffisance évidente de sujets, et qu’il est temps de mettre les cadres au niveau des besoins. Ce calcul est plus ingénieux que vrai ; il suppose que, hors des brevets de l’état, il n’y a que routine et empirisme. Il néglige les hommes que les institutions particulières ont formés, et qui ont achevé dans des cours publics ou libres leur éducation industrielle. Il ne tient pas compte non plus de ces laborieux artisans qui, par une pratique assidue, sont arrivés à une science relative, ont pris leurs grades dans les ateliers, et en sont devenus les meilleurs, les plus sûrs agens. Tout n’est pas profit avec les élèves à diplôme, et combien d’entre eux trouvent dans les fabriques des contre-maîtres capables de leur donner des leçons ! Puisqu’il s’agit de caporaux, en voilà une légion toute trouvée, avec des chevrons gagnés sur le terrain, et qui feraient dans les rangs une aussi bonne figure que ceux qui sortent des écoles. Les chiffres de MM. Morin et Tresca en seraient profondément modifiés. Prenons-les comme ils sont, dans les catégories où ils sont renfermés ; admettons avec eux que l’état ne fournit pas assez d’auxiliaires à l’industrie. Quels moyens a-t-il à sa disposition pour suppléer à cette insuffisance ?

Dans l’enseignement supérieur, le Conservatoire des arts et métiers est un modèle dont il serait difficile d’approcher. Le choix des professeurs, l’éclat des leçons, lui ont valu le nom de Sorbonne industrielle. C’est une institution à part qui honore le pays, et qui doit rester sans analogue. Nulle part en province on ne trouverait les élémens de succursales, si on imaginait de lui en créer. Il serait impossible également de reproduire en diminutif l’École des ponts et chaussées, en la mettant à la portée des conducteurs et des piqueurs. Avec ses cours libres, cette école suffit aujourd’hui à tous les services, soit qu’elle donne un enseignement complet pour les carrières publiques, soit qu’elle en détache quelques parties à l’usage des carrières privées. Reste l’École centrale des arts et manufactures, pépinière d’ingénieurs civils, et dont l’histoire est une leçon. On y voit un témoignage significatif de ce que peut l’effort