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chefs-d’œuvre de la renaissance s’étaient trouvés ainsi transportés sous le climat du Nord. Pour les recevoir, leurs nouveaux possesseurs construisirent de riches habitations, dont les modèles furent empruntés d’abord à l’architecture italienne ; un peu plus tard seulement, on imita la France de Louis XIV. Si l’on veut constater en quelle mesure ces divers enseignemens profitèrent à la Suède, on n’a qu’à feuilleter les trois beaux volumes in-folio de l’ouvrage du comte Dahlberg, Suecia antiqua et hodiema (la Suède d’autrefois et d’aujourd’hui). Dahlberg était contemporain et rival de Vauban et de Cohorn ; il a construit d’innombrables fortifications depuis les frontières de la Laponie jusqu’à Brème et des côtes du Gattegat aux rives du Ladoga ; le marquis de Montalembert passe pour avoir repris quelques-unes de ses traditions. Il était en même temps dessinateur fort habile ; après avoir, avec le secours de nombreux graveurs français, composé pour plusieurs grandes publications historiques des dessins aujourd’hui recherchés, figurant les fêtes et les batailles, il s’occupa exclusivement du Suecia, son principal ouvrage. Ce beau livre se compose de trois cent cinquante-trois gravures représentant les villes, châteaux et églises de la Suède vers le commencement du XVIIIe siècle. Le célèbre artiste français Sébastien Leclerc, le même qui a gravé les Batailles d’Alexandre d’après Lebrun, les Conquêtes de Louis XIV, les Médailles, jetons et monnaies de France, etc., fut son principal auxiliaire. Dahlberg acheva seulement quelques mois avant sa mort, en 1702, cette œuvre de cinquante-deux années, qui ne fut publiée qu’en 1716. Un tel monument étonna l’Europe ; donné en présent à toutes les cours, ainsi qu’aux hommes les plus éminens en France, en Angleterre, en Allemagne et en Italie, il montra aux regards surpris une Suède somptueuse, avec un nombre infini de résidences magnifiques, rivales de Fontainebleau, de Marly et de Versailles. La réalité répondait-elle à ces représentations fastueuses ? Oui, en partie. Il est vrai que maint propriétaire noble avait transmis à Dahlberg le plan de son château non pas tel qu’il était véritablement, mais tel qu’il devait être un jour ; maint édifice encore aujourd’hui incomplet figure dans l’ouvrage comme s’il était achevé. Il n’y avait sans doute pas en Suède autant de Le Nôtre que ces dessins en feraient supposer ; cependant le tableau est véridique à tout prendre : il nous montre ce que l’aristocratie avait jadis possédé de richesse effective, et par quel luxe éclairé elle avait contribué à former le goût de la nation. La Suède a conservé jusqu’à notre temps de beaux vestiges de cette ancienne grandeur ; on en peut juger par l’admirable résidence de. la famille de Brahé, à Skokloster[1].

  1. Un habile artiste suédois, M. Billmark, a publié en 1863 à Paris une intéressante série d’estampes représentant les différens aspects de ce magnifique château, avec les détails de l’ameublement, qui date du XVIIe siècle ou de la fin du XVIe.